Il y a tout de sortes de surprises : « surprise, livraison de fleurs », « surprise,
c’est ta chanson qui joue à la radio », « surprise, il y a une
moufette sur votre perron », et la moins populaire de toutes, « surprise, vous avez le cancer ».
Envers et contre tous, j’affectionne les surprises. Il y a un brin de poésie à ces moments qui
suscitent une réaction viscérale, une énergie réactionnelle pour parler comme une
technocrate en psycho pop. Quand je suis
débarquée au Québec il y a un mois, je me suis déguisée en cochon pour des
retrouvailles inoubliables avec mes chums de filles. Ding Dong, c’est moi, je suis en cochon. Surprise!
Seulement voilà, trop surexcitée, j’ai pris la mauvaise
allée et j’ai sonné comme une effrontée pour faire encore plus drôle. La porte s’est ouverte sur le visage d’un homme inconnu avec un sourcil en accent circonflexe et l’autre en broussaille.
« Je ne suis pas chez Sophie? », dis-je, tracassée
d’être une gaffeuse en série.
« Ne-non.
Sophie, c’est l’autre porte… ».
Il jauge mon costume et passe du mode impatient à vaguement inquiet
quant à mon état mental.
« Pouahhhhhh! Je
me suis trompée! Ahahahahaha! Hohoho!
Je suis désolée! ».
Je
replace mon groing sur le haut de mon front et je repars avec un semblant de
dignité, la queue tirebouchonnée entre les jambes.
« Je vous trouvais plutôt insistante avec la sonnette »,
me lâche-t-il pour me faire la morale sur les bonnes manières.
Pas plus tard qu’avant-hier, c’est la chirurgienne qui m’a
fait le coup. Rassurez-vous, elle ne s’est
pas déguisée en cochon. Elle me fait le
cadeau de ses plus beaux sourires sans avoir à se prendre pour Dr Patch
Adams.
« Surprise, j’ai les résultats de la pathologies! ». Nous nageons dans les eaux troubles du cancer
avec une efficacité qui me coupe parfois le souffle. Moins vite, s’il-vous-plaît?
« Les marqueurs indiquent que toute la masse a été
retirée. Pas de trace de cancer dans le
ganglion sentinelle de l’aisselle. Mais
vous allez devoir faire de la chimio », poursuit-elle les yeux rivés sur
le rapport.
Je regarde au dessus de mon épaule pour voir si elle parle à
la bonne patiente. Chimio? Ne-non, c’est l’autre porte, sûrement pas
ici. CHI-MI-O, un diminutif qui
pulvérise mon monde. Je vois apparaître
devant mes yeux un champignon atomique au dessus d’un lagon bleu dans le
pacifique. Surprise, ma vie vient d’exploser. Au lieu de retourner chez moi à Nouméa en
février 2012 après la radiothérapie, je vais m’astreindre au boot camp des
cancéreux, la fameuse chimiothérapie.
Excusez-moi d’être aussi précieuse et égocentrique mais ce n’était pas dans
le plan de match initial. Il me restait
un bout de vie à vivre sur « mon » lagon. Le pire dans tout ça, ce n’est pas de prendre
la décision de rester en vie. C’est de
traîner les enfants dans cette incroyable aventure qui consiste à la
sauver. À bien y penser, cette surprise
là me laisse un goût amer, moi la control freak, celle qui gère les rêves et
les projets dans la plus totale dictature en martelant "avancez en avant" pour fouetter les troupes. En ce moment,
j’opterais plutôt pour la position du fœtus sur mon canapé à Val Plaisance en
sirotant du vin rouge avec une paille à onze heure le matin.
Et non, je ne suis pas aussi vaine que j’en ai l’air. Pas de cocktail avant dix-sept heures, c’est
la règle. On s’accroche une paire de
lunettes noires pour cacher les larmes, on relève les commissures des lèvres
malgré une petite douleur au cœur et on sourit.
Surprise, la vie continue.