31 déc. 2012
30 déc. 2012
Ma prière à la messe de minuit à huit heures
« Dépêchez-vous, l’église est ben pleine pour la messe
de huit heures! ». Ma mère fait la
circulation pour toute la famille et distribue les bottes, les foulards, rallongent une jupe trop
courte en tirant dessus tout en enfilant son propre manteau. Il est sept heures et vingt et j’imagine la
file à la porte de l’église…On va être assis sur le perron si on traîne de la
patte comme ça.
Arrivés sur place, l’église est vide comme une allée de
quille. Il y a bien quelques vieux pécheurs
qui rongent les balustres mais c’est tout.
Des enfants déguisés en berger répètent leur marche solennelle. Le plus petits des trois, sérieux comme un
pape, a perdu ses grosses dents d’en avant.
Pendant ce temps, le bedeau court d’un cierge à un autre comme s’il
avait une envie pressante. Mes enfants
et leurs cousins se précipitent au deuxième étage de notre belle église. C’est l’équivalent de la loge de luxe pour le
Canadien. De là, ils saisiront les
moindres faits et gestes de l’assemblée et pourront se délecter de fous rires. Ma mère est déjà partie côté sacristie. J’opte pour le troisième banc sur le plancher
des vaches avec les deux hommes de ma vie, mon père et mon mari. Je surprends mon aîné en train de hocher la
main à un parterre imaginaire de fidèles comme s’il était Benoît XVI. Cet enfant n'en rate pas une.
Sur le mur, la vieille horloge indique sept heures trente-cinq. C’est l’horloge la plus lente que je
connaisse. La trotteuse a l’air de ramper. Deux secondes en avant, trois en arrière.
Toute petite, je me distrayais en regardant attentivement
les tableaux de saints aux yeux tourmentés, eux les misérables témoins des
sévices subis par Jésus. Je passais
aussi au rayon X les ouailles endimanchés, leur inventant des vies farfelues. J’avais une prédilection pour les religieuses. Elles arrivaient par une porte que personne d’autre qu’elles n’empruntaient, celle du côté du couvent. Elles auraient pu venir prier en pantoufles,
l’église était comme leur salon.
Honni soit la tentation du confort du linge mou! Même si elles
enfilaient les offices avec autant de fidélité que les fanas de la pièce Broue,
elles étaient toujours sur leur 36, amidonnées comme des candidates sur des
pancartes électorales.
En les observant penchées sur leur missel, je me suis
longtemps demandée s’il leur arrivait de prier pour elles-mêmes? Ce n’est pourtant pas dans leur définition de
tâches. Les ouvrières arrivent au
prie-dieu avec une longue liste de doléances, les malades, les quéteux, les
orgueilleux, sans oublier les conflits dans le monde. Il y a beaucoup trop
à faire.
C’est du boulot, la messe.
Parmi elles, j’essayais de choisir qui était l’employée du mois de cette
grandiose succursale des supplications à la chaîne. Était-ce celle qui avait les yeux fermés dur,
les mains jointes dans du ciment et la nuque ployant sous la demande des
fidèles trop paresseux ou maladroits pour formuler leurs propres incantations? Je ne voyais pas l’intérêt de leur soumettre
ma demande spéciale. Durant ce long
désert qu’était la messe, je trouvais toujours une petite minute pour faire du
tchat spirituel avec Jésus. Ce bébé dodu
tout en bouclettes portés dans les bras de St-Joseph n’a pourtant jamais fait de
miracles pour moi. Je ne sais même pas
pourquoi, 40 ans plus tard, je suis assise dans la même église en train de
regarder trotter la trotteuse. Une chose
est sûre : je me sens bien ici.
Les bancs se colorent et l'église se
réchauffent. Je me demande comment les
enfants vont tenir pendant la prochaine heure.
C’est Noël, autant dire que ça leur procure le même effet qu’un Red Bull. Le curé, une grande gueule
qui a la langue bien pendue, joue comme un virtuose avec les "punch line". Il y a malgré tout un joli message dans son
numéro de stand up comic. Je l’entends
me dire : tout ce que tu désires au
plus profond de toi-même, tu peux l’avoir.
Ça ne dépend que de toi.
Tellement d’accord avec vous, coach Curé.
Quand je reviens dans cette belle grande église où j’ai été
baptisée, où j’ai fait ma première communion, où je me suis mariée, où j’ai
fait baptisée mon aîné, je puise ma vigueur dans ce puissant cycle qui fait de moi ce que
je suis : une femme forte.
Amen.
20 déc. 2012
Mon foulard en poils
« Dans deux ou trois semaines, ne soyez pas surprise,
vous allez perdre vos cheveux », m’a dit mon flamboyant hémato-oncologue,
le Dr. C. Cet homme tourne les coins du
corridor en semant des paillettes dans son sillage. Plus grand que nature. Un top spécialiste avec ses gentilles blagues
qu’il claque avec l’agilité d’une star de cinéma.
« Vos cheveux pourraient repousser frisée. Quand on vous demandera qui est votre coiffeur, vous direz que c’est Dr. C. ! » me dit-il en me flashant un clin d’œil complice.
Mais avant que ça repousse dans le style brousse en folie, j’aurais
le crâne lisse comme la patinoire du centre Bell. La solution « foulard-tuque-ti*casse-perruque »
me donne de l’urticaire. J’ai peur d’avoir
l’air de Aunt Jemima, version blanche. Ou
de Môman dans la Petite Vie. Ou pire
encore, d’un clone de Boy Georges avec des foulards bariolées sur des tresses
en nylon collées sous un chapeau en feutre.
Les images défilent et je ne peux m’imaginer avec le look boule de
billard.
Tant qu’à exposer autant de peau, j’opterai pour un dessin au
henné, genre pot de fleurs. Mais un
bouquet tout le tour de la tête, ça ne procure pas l’efficacité énergétique d’une
tuque en janvier.
« Tu devrais aller te chercher une belle perruque à la
Fondation canadienne du cancer », me suggère une jeune fille à foulard
pendant ma première séance de chimiothérapie.
J’aime l’ambiance salle paroissiale du département d’oncologie : on jase avec les voisins de tout et de rien. Les infirmières et les autres patients lancent
eux aussi leur campagne pro-perruque et finissent par effacer mes craintes de
ressembler à une fanfreluche à boudins.
Le lendemain matin, je frappe à la porte de la Société
canadienne du cancer avec mon mari à mon bras.
L’homme de ma vie va se payer un grand fantasme: voir sa femme
en blonde, brune, noire, rousse. Tout ça
pour un dépôt de 20 dollars. Un
re-looking complet pour le prix d’une bouteille de vin, c’est vraiment une
aubaine!
« Wow! Tu es
vraiment belle! », siffle-t-il en prenant des photos.
Bon, j’ai presque hâte de me faire raser le crâne en voyant
l’effet bœuf de la perruque.
Je suis prête. Ce
sera l’automne bientôt, mes cheveux vont tomber dans deux ou trois semaines. Mais le moral mon moral reste bien accroché.
Merci à Sylvie pour sa grande patience.
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