26 déc. 2013

Pour ou contre Noël?



Peut-on oublier Noël?  

Disparaître dans un abri nucléaire pour éviter le magasinage, les décorations et les partys de bureau?  

Mettre Noël en boîte.  

Désapprendre les rigodons. 

Sauter une année? 

Devenir bouddhiste ou musulman? 

Le petit Jésus doit rire dans sa barbe alors qu’il fait semblant qu’il dort dans la crèche sous l’arbre…

Chez nous, Noël est désormais un projet.  Un chantier pour les traditions.   La soirée canadienne version 2.0.

Des rouleaux printemps en swinguant sur du vieux Elvis. 

Un party à la cabane à sucre.  

Un 25 décembre en pyjama.  

Et la course des poules pas de tête, pieds nus dans la neige…



Du grand n’importe quoi pour se dire l’essentiel :  l’important, c’est la famille, quel que soit le continent, quel que soit l’état de santé, quel que soit le port d’attache du moment.  

22 nov. 2013

Entre là bas et ici, je me reconstruis

Si j’avais à départager entre deux grands plaisirs, celui où j’ai fait l’amour pour la première fois ou celui où j’ai eu mon baptême de l’air en avion, je choisirais sans hésiter l’avion.  C’était un vol pas très glamour reliant Newark et Charlotte en Caroline du nord.  J’allais avoir 18 ans et je me lançais à la découverte du monde comme « foreign exchange student » au pays du Bible Belt.

J’avais le hublot à ma droite et un beau grand norvégien à ma gauche, lui aussi étudiant étranger.  Des yeux bleu-fjord sous ses tifs sombres.  Sorti de nulle part,  il me dit qu’il s’appelle « Arve ».

« A-RA-VA », souffle-t-il, calme comme un loup sur la steppe. 

« A-RA-VA ».  Je répète le mantra en buvant son regard. 

« First time on a plane? », poursuit-il.  Je pige dans mon maigre vocabulaire et réponds succinctement « yes ».  Il prend alors ma main juste avant le décollage. Ses longs doigts frais glissent dans ma paume.  Mon cœur démarre au rythme des turbines et je ferme les yeux, mince voile sur mon air con.  Je sens les roues de l’appareil qui s’ébranlent doucement.  J’ai une tempête dans la tête :  ma vie d’adulte va décoller ici sur cette piste et rien n’est plus excitant en ce moment que le vrombissement sourd des moteurs et cette main devenue incandescente dans la mienne.  Une force invisible me cloue à mon siège.   Un instant nous accélérons et le suivant, plus rien n’existe, nous sommes entre ciel et terre.  Le temps s’arrête et mon existence tout entière se détache sous mes yeux.  Les pièces géantes d’un puzzle apparaissent, découpant les banlieues, la campagne et des filets de plages bordées de mer écumante. 

« Are you okay ? » demande Arve avec un sourire dans les yeux.  Nous volons alors au dessus d’un matelas de nuages.  J’ai envie de lui dire « c’était bon » mais je n’arrive pas à former la phrase jusqu’à mes lèvres.  Je lui sers encore une fois le seul mot qui m’ouvre toutes les portes et je répète « yes » comme une attardée.  Il retire sa main tout doucement avec une infinie précaution.  Notre voyage s’est arrêté à dix milles mètres dans les airs.  Nous sommes retournés dans le confort relatif de nos sièges en classe économique en sirotant chacun un coca.   En arrivant à Charlotte, Arve s’est fondu dans une foule dense à l’aéroport  et je ne l’ai plus jamais revu. 

Pourtant, ce beau norvégien ténébreux m’accompagne toujours, quel que soit l’avion dans n’importe quel coin du monde.   Je conserve un vague souvenir érotique de mon baptême de l’air, la raison pour laquelle je lui dois sûrement cette pulsion de bonheur à chaque décollage. 

Je pense à lui à cet instant même alors que l’agent de bord d’Air New Zealand s’approche de mon siège.  Je viens de célébrer mes quarante-huit ans.   Trente ans se sont écoulés depuis mon baptême de l’air.  Combien de vols ai-je pris depuis, excitée de me lancer vers de nouvelles aventures?  Mais cette fois, c’est bien différent…Mes sens sont en éveil lorsque je perçois les premiers murmures mécaniques de notre grand oiseau de fer qui s’ébroue avant le départ.  Un dernier coup d’œil au hublot : les lumières d’Auckland ne forment plus qu’une dentelle scintillante à l’horizon.  Dommage que la nuit enveloppe cette intrigante terre de feu qu’est la Nouvelle-Zélande.  J’aurais bien aimé repérer un lac fluorescent lové entre les montagnes déchiquetées, hérissées de fougères arborescentes.   Surprendre un géant mythique échappé d’une caverne.  Rire des facéties d’une bande d’elfes volants.  Ou poursuivre simplement mes souvenirs de voyage en dessinant du bout du doigt sur la vitre de mon hublot les routes en lacet qui plongent au cœur d’une nature à la fois sauvage et domestiquée.  Un souffle discret au dessus de mon épaule me fait sursauter.

« Champagne?  Glass of wine? ».  L’agent de bord me couve d’un regard professionnel, prêt à déployer une patience légendaire pendant les 15 prochaines heures.  Je n’ose pas lui dire « both » pour ne pas chiffonner sa bonne humeur.

« Red wine, please » lui dis-je avec mon accent du sud acquis 30 ans plus tôt chez les red neck du sud.  Il opine et s’éclipse.

Le temps de retirer mes chaussures et d’allonger mes jambes sur le strapontin, le verre atterrit entre mes paumes.  Doux plaisir de la première classe.  Je ressens pourtant un vide aussi grand que le Pacifique que nous survolons.  Je quête un regard, je fais le deuil du bienveillant coude-à-coude, je refoule un sanglot, transie par une soudaine nostalgie.  Une gorgée de pinot noir pour égayer mon humeur devenue sombre…

« Would you like a refill? »  Cette fois, une hôtesse au chignon blond a pris le relais.  Je fais fi de mes bonnes résolutions et je me fends d’un faux sourire en sifflant « yes ».  La vérité est dans le vin, disait Platon.  Et bien qu’elle y reste!   Je trinque au temps qui passe et trempe mes lèvres.  Un inconnu de l’autre côté de l’allée capte mon regard embué.  Ses lèvres forment les mots 

« Are you okay? ».  Même si l’homme est moche et gris, mon souvenir le déguise et fait surgir le doux visage d’Arve.  Cette bonté douce comme du miel sur le bout de la langue, je l’ai toujours recherchée.  Elle est d’autant plus touchante dans ce no man’s land aérien, entre ici et là bas, écartelée au milieu de deux continents.  D’un côté,  ma famille, déjà à quelques heures de décalage et de l’autre,  ma nouvelle solitude, grisante et affolante à la fois.  J’ai dit au revoir à mon mari et à mes trois enfants pour la toute première fois.  J’ai lancé des baisers imaginaires comme s’il s’agissait de confettis pour égayer cette rupture larmoyante.  J’ai même esquissé quelques pas de danse pour leur signifier que tout allait bien.  Tapé un message texte crypté de sourires en forme de parenthèses et deux-points.  Bercé mes seins pour les rassurer.  Je cligne des yeux et voilà l’homme tout en interrogation qui me touche du bout des doigts, un pont de sollicitude à travers l’allée.

« Are you okay? » repète-t-il.

“I have cancer.  I’m going to have treatment back home”.  Je suis étonnée par ma propre candeur. 


« I am sure you will be fine », conclut l’inconnu.  Je souris à son clin d’oeil complice.  A-t-il été aussi veinard que moi au loto du crabe?  J’ai tiré le ticket chanceux, un stade préliminaire, un bourgeon vénéneux, une verrue de sorcière, un embryon empoisonné de 8 millimètres, les prémisses d’un mini-calvaire.  Rien de grave.  Je vais chez moi pour me faire soigner.  Pour me soigner.  J’ai une toute petite masse côté cœur.  Pourrait-il en être autrement?  Depuis que je suis adulte, mon désir d’amour a fini par avoir raison de ma santé.  Une main sur l’épaule, des yeux vrillés dans les miens, un souffle sur ma bouche et quelques mots pour m’apaiser.  J’ai pris cet avion cent fois dans mes songes pour rassasier mon trop grand appétit.  Je me suis endormie en rêvant à une main électrisante qui se glisse dans la mienne.  Et je me réveille seule face à un hublot noir.  Où est passé Arve?  Le grand norvégien ne s’est jamais vraiment évanoui.  Il est devenu mon inspiration.  Un étalon de mesure pour le grand amour, celui qui soulage et rassure.  Je prends l’avion.  Je prends des forces.  Tout est possible là haut :  j’invente ma vie, je dicte le protocole de mes traitements, je me bats comme une forcenée et je remporte la victoire.  Une main glissée dans la mienne, un regard de braise, des lèvres qui forment les mots d’encouragement, une légère touche sur mon épaule.  Un gobelet d’eau dans un si grand désert.  Je revis.  J’ai quinze heures pour reprendre des forces.  Une fois l’avion posée, mes forces se seront décuplées.  Et je vais guérir.

6 nov. 2013

La course ou le divan?


Il y a tellement de raison pour ne pas aller courir:  les premières gelées d'automne, un genou qui craque, une ampoule entre deux orteils, un party improvisé, une brassée de lavage, des croûtons à l'ail à "broil", un Ipod à plat, un moral à plat, un début de rhume, un ouvrier sur le point de venir poser des tringles de rideaux, une paire de gants introuvables, un divan trop invitant...

Et les raisons pour courir?  Pourquoi allez se casser les béquilles sur un trottoirs, les fesses moulées dans un vieux legging pelé?

Suivez le conseil de M. Prescott qui va bientôt célébrer ses 80 ans et qui s'est prescrit une remède infaillible:  10 km de course, 3 fois par semaine.  

" Si ça vous tente, allez-y.  Si ça vous tente pas, allez-y quand même!"

Vu comme ça, ça semble logique.  J'y vais!

26 oct. 2013

Souvenirs de vacances

Premiers flocons ce matin.  Ah, les souvenirs de vacances semblent déjà si loin...Et pourtant!  C'était hier que nous prenions un bain de soleil sur notre terrasse en sirotant un bon blanc frais.
Coup d'oeil sur mon album photo:


23 oct. 2013

Dans le tiroir à poèmes

Trois-Rivières est une ville de contradictions.  Entre les cheminées de ses papetières crachant avec lassitude une fumée ocre, il y a un festival qui fleurit curieusement à l'automne: la poésie.
Ronds de jambes avec les mots, griffures mordorées des poètes transis de tragédies, soirées doucereuses où sont célébrées des messes d'esprit.  La poésie part en cavale dans les cafés, bistrots, troquets...J'ai moi-même déclamé quelques vers saugrenus d'un clown inoubliable, Sol.  C'était "stradinaire".

En fouillant dans mon propre tiroir à poèmes et j'ai retrouvé quelques écrits.  Des strophes tragiques sur le mal de vivre....Quelle agonie que d'avoir 20 ans!  Mais j'ai tout de même laissé échapper des envolées moins saignantes.  J'écrivais alors en anglais....C'était ma phase anglo dans les cantons de l'est.

The love letter

I got a letter
Smudged with the passion 
Of a mysterious lover.

The blue sheet of paper
Had been ardently sprinkled
with a million bits of his furor.

The way he had poured all those words!
Dripping with lust, loaded with devotion...
Words of an impetuous Romeo!

His fierce infatuation had an endless tone:
"Forever, forever, forever, my delicate fairy".
I could almost feel those forevers
Blown in the hollow of my nape.

His impassioned speech
Was like a symphony
Exhalting my own beauty.

He had blurred love
Into a sublime literary arabesque!
He was a master!

A master whose name
Unfortunately happened to be
"Your devoted admirer"...

(23 octobre 1985)


Letter to my english teacher

"Tranquil as an apple" was the poetic expression
Which fascinated you the most
And I have always wondered
If this rather pure and simple simile
Happened to be the almighty principle governing your life.

And that coffee cup with the naive landscape painted on it...
Have you ever indulged yourself a reverie
In which you were a glittering fairy
Walking on a corning ware path through the green pastures?

What king of thoughts
Blossom under these soft curly locks
That throw a faint shadow over your jolly forehead?

Instead of doodling my boredom away,
I keep rummaging through my mind 
And growing an infinite number of queries.
That's why I have been wondering about you
And your dreams.
I have been wondering so many times if you were like me.

Miss, are you like me?
A woman struggling to be a woman
With the social imperatives gnawing at your bones,
Having to comply to the dazzling-shrewd-and-thin ideal?

This damned didactic world!
It forces you to stuff yourself with nothing but your will
To become the unattainable woman of the eighties
While psychiatrists
Sleep on a full belly.

(6 décembre 1985)


Politicians

A refined race of liars
With a mouthful of words...
Contemporary gladiators
Risking life and dignity
For the sake of a colour:
Red, blue, green
Spin the wheel
Or read the results
Of the last Gallup poll.
You may even vote!
We do need someone
To keep up the sophisticated illusions.
We do need someone
To mail the bill.

(5 décembre 1985)

10 sept. 2013

Dire tout haut qu'on a pleuré en silence

On m'a demandé d'être la présidente d'honneur d'un événement bénéfice pour le fonds Francine-Lachance.  J'espère un jour arriver à la cheville de cette grande trifluvienne qui a mordu dans la vie jusqu'à la fin tout en jetant les bases d'un mouvement de solidarité entre les gens d'affaires de ma région.  

Voici mon message à l'occasion du défilé mode au Carlito:



C’est un jour comme un autre.  Vous faites votre jogging en jouant à la marelle sur les flaques de soleil. 

Vous embrassez vos enfants, ivre de fierté et d’amour.

Vous enlacez votre amoureux, une vieille habitude qui révèle une fois de plus la petite flamme qui brûle toujours en vous.

Vous parlez de bonheur comme on discute de la météo :  avec ses hauts et ses bas.

Vous faites des projets comme on construit des autoroutes, avec un plan en main et l’idée de faire en grand.

Vous allez vite, évidemment.  Pressée de vivre.  Obligée de tout faire en même temps.

Et lorsqu’on vous demande  si vous êtes heureux, vous ne prenez même pas la peine d’y penser.  Vous dites tout de suite…Bien sûr!  Regarde moi, j’ai tout ce que je désire.  Je flotte.

Jusqu’au jour où l’enclume vous tombe sur la tête. 

On vous dit « cancer » et vous comprenez « galère ». 

Ce n’est pas la fin du monde mais le monde tel que vous le connaissez ne sera jamais plus le même.  C’est du moins ce que vous apprendrez au fil des jours de cette aventure tortueuse.

Les médecins félicitent votre chance :  c’est un stade 1, une puissante gifle qui va vous coucher pendant quelques semaines, voire quelques mois mais vous vous en sortirez.

Vous n’allez pas mourir.  La vague de fonds du tsunami ne va pas vous engloutir.

Mais elle va balayer vos croyances les plus profondes.  Faire germer en vous un mal de vivre,  une angoisse sombre et des humeurs toxiques sur fond de jours gris. Vous traverserez un mois de février glacial qui ne semblera jamais se finir. 

Heureusement, il y a un bout à tout, même à l’éternité. 

Mars arrive enfin.  L’ombre d’un timide printemps colore les jours.  Telle une marmotte endolorie, vous sortez de votre terrier.

Un jour, vous vous essoufflez en attachant vos souliers.  Et le suivant, vous voilà en train de courir.

Dans ce grand corps malade, une femme se réveille.  Plus rien ne sera comme avant alors mieux vaut faire connaissance avec cette étrangère.

Un peu de rose sur les lèvres, un trait de crayon sur les paupières que l’on trace comme un symbole sur la peau d’une guerrière. 

En passant une main sur le duvet naissant de votre crâne, une évidence:  cette femme qui renaît, c’est moi.

Mon nom est Chantale Carignan.  Je fais partie désormais partie des statistiques du cancer.  Je ne suis pas la seule, mon mari aussi est passé par là.

A travers les larmes, j’ai appris à goûter à la douceur des petits et des grands bonheurs.  Un goût de sel et de miel.

J’ai fait du moment présent mon pain quotidien. 

Et les projets en forme d’autoroute?   Ma famille vous le dira :  rouler en Westfalia sur une petite route tranquille, c’est déjà le début de l’aventure.  Dans toute cette histoire, ils sont devenus mes héros. 


Autoroute ou chemin caillouteux, l’important c’est de regarder droit devant.

4 sept. 2013

Certaines vies se tricotent, d'autres s'effilochent.

Au fil des promenades, je note les petits bouts de vie de mes voisins.  A deux maisons de chez moi, les fleurs sur le parterre velouté vert ne sont pas encore fanées.   Pas un brin d’herbe qui retrousse, zéro cra-cra sur l’asphalte noire foncée de l’entrée, pas de traînasse ni de ti-bout de boyau d’arrosage échappé d’un buisson.  S’il y avait des nains de jardin, ils seraient au garde-à-vous.  Cette voisine-là aime forcément le jardinage…

Et l’autre 100 mètres plus loin…ouf, pas de médaille pour le concours des parterres fleuris mais une mention « pur bonheur » avec la poussette garée dans le driveway.  Je décode ici que les enfants dictent une série de priorités et pomponner les talus de fleurs est loin d'en faire partie dans cette famille.

Il y a aussi ce marcheur qui passe dix, vingt, trente fois sur mon bout de rue.  Un grand homme au dos vaguement voûté que l’on devine torturé par la maladie mentale.  Il se soigne en avalant les kilomètres d’un pas fébrile.  J’ai croisé une fois ou deux son regard étrange, braqué sur le film de ses propres pensées.  Brrrrr.

Sur la rue de la Pinède, un vieux monsieur qui s’esquinte en poussant sur sa tondeuse.  Pantalon?  Trop grand.  Ceinture?  Élimée.  Sûrement un veuf.  En passant devant chez-lui, il me devance sur le bonjour et pointe mon chien :   "Vous aimé ça vous faire voir avec votre chien?", m’a-t-il demandé.  J’ai du lui faire répéter parce que je n’avais pas trop bien compris…Me faire voir?  Ah bon, peut-être, je n’y avais pas pensé.  "Il a fait ses petits cacas?" Je regarde le sac dans ma main, de plus en plus confuse.  Cette conversation semble tout droit sortie de la pièce Les Voisins de Claude Meunier et Louis Saïa. 

Et il y a le coin de rue de la famille heureuse.  Papa, maman, trois enfants.  La voie publique est devenue un terrain de jeu.  La plus jeune s’étend comme une crêpe, insouciante du trafic.  Pas grand danger, il passe un char au demi-heure…La corde à danser est attachée au poteau du basket qui remplace un bras lorsqu’il manque de monde pour faire tourner la corde.  J’aime les cris surexcités qui s’échappent de la maison.  Je devine le papa et/ou la maman en faux zombie attrapant aveuglément le premier rejeton pour lui donner des becs de bédaine.

Mes voisins sont comme ils sont :  esseulés, vigoureux, perfectionnistes, débordés mais rarement sans histoire.

Quelques-uns, plus rares, vivent des drames lancinants qui s’écrivent avec des ellipses.  C’est du moins ce que je constate au détour d’un jogging alors que je croise un monument.  Le monument de Cédrika…Je m’arrête et pose ma main sur la pierre froide.  Rappel sur un été angoissant, l’été où nous avons tous serré nos enfants dans nos bras avec les yeux dans l’eau et la tête remplie d’horreur.  Quelques rosiers laissent échapper une fleur.  Je ne sais pas pourquoi mais j’imagine plutôt des larmes rouge sang.  Ce monument nu, face à la rivière St-Maurice, m’attriste profondément.  Sous ce granit, le courage d’une famille mais aussi l’oubli de tout un quartier.  C’est choquant. 
Si vous passez devant la plaque commémorant le triste jour de la disparition de Cédrika, vous verrez des chrysanthèmes.  C’est moi qui les a mis là.  Partout je vois les signes de la vie qui défile alors qu’ici, tout autour de ce beau monument, c’est l’amnésie. 


Avec ce simple pot de fleurs glissé contre la mortaise, je veux simplement dire que cette vie-là non plus nous ne l’oublierons pas.


22 août 2013

To like or not to like


“Maman, pourquoi est-ce que je n’ai pas beaucoup de “like” sur mes photos de profil?”. 

Princesse des îles scrute le désert sur son mur.  La grande famine.  Si peu d’amour…  Comment se fait-il qu’on te « like » avec autant de parcimonie?  On saupoudre ici et là mais c’est timide, cet élan de dévotion.

Alors à cette grande question existentielle,  «  Miroir, Miroir, dis-moi qui me like? », voici ce que je te réponds.

Si le fan club se limite aux vrais amis, il y a de l’eau dans le gaz, tu as raison ma chérie.  Pourquoi ne pas accrocher quelques articles sommaires à ta carte d’identité virtuelle?  La petite moue bouchonnée, le fameux « bec de canard » (duck face), devrait en principe susciter une première vague de clics sur « J’aime »… Mais c’est la base, n’est-ce pas?  Alors pourquoi s’arrêter là?  


Mets-toi dans la peau d’un vendeur de pub et tartine un peu de gloss sur la photo du Big Mac.  Le mot clé?  Tu dois te rendre gourmande!   Le bikini fluo avec un décor de mer, un baiser soufflé comme une bulle de savon, un clin d’œil coquin, une main manucurée posée sur la hanche avec des toiles de Dali sur chacun des ongles et tu auras une explosion.  Like LIKE LIKE!!!!!

Nous venons d’atteindre 50 « like » et ce n’est peut-être pas encore assez… Si tu veux le feu d’artifice de l’International Loto Québec, fais semblant d’embrasser ta meilleure amie.  Quoi?  Tu me demandes c’est quoi une meilleure amie?  Hummm….Ah oui!  Je me souviens du code, une BFF.  Bon, voilà, tu as tout compris.  Tu n’es pas lesbienne?  Mais ce n’est pas grave ma chérie!  On est en plein modelage narcissique alors s’il te plaît, ne m’interromps pas!

Si après tout ça, tu n’as pas enflammé le baromètre des « like », il y a des moyens, disons….plus laborieux.  Laborieux, c'est quoi? Il faut que tu t’y mettes, c’est du boulot pas rémunéré alors cramponne toi à ton Mac Book, on va galérer ensemble pendant de longues heures.

Scrute tes statuts, une bête avec un appétit vorace que tu dois alimenter en étant plus ingénue/poétique/humoriste que les autres.  N’oublie pas que nous sommes plus d’un milliard d’utilisateurs Facebook alors oui, j’avoue, la barre est haute.  Et ça ne ferait pas de mal si tu pouvais écrire de temps en temps en anglais même si ton niveau est plutôt… Plutôt bon.  Tu es une enfant extraordinaire, il ne faut jamais en douter même si tu te sens un peu dans la cocotte-minute avec toute cette pression.

La suite est tordue mais aux grands maux les grands moyens.   Bricole-toi des profils pastiches et va te « liker » toi-même.  Je sais, ce n’est pas bien d’aller doper ton propre profil mais à la guerre comme à la guerre.  C’est juste une expression, ne t’en fais pas.

Quoi? Après tout ça, tu n’auras pas le temps de te consacrer à notre réussite scolaire?  Mais tu sais bien comment ta maman chérie y tient…Et puis, pense à tous ces « like » qui te rempliront de bonheur… Mais non, ma puce: Facebook n’est pas une prison!  C'est un buffet à volonté où tu nourris ton estime.  

Tu me demandes quoi encore...?  Bien sûr que je te like!  Allez, fais du vent, y'a du travail!


21 août 2013

Mes étés

Il y a eu l’été de mes 7 ans, celui où j’ai vu mon grand-père en bédaine besogner en pleine canicule pour bâtir notre maison avec mon père.  Ce n’était plus une jeunesse mais il pouvait encore enfoncer un clou en moins de 3 coups.  Han-han!

C’était l’été de la liberté.  Fini le village et ses trottoirs qui étouffaient les pissenlits entre les craques.  Je déménageais en « banlieue » avec en prime, la lisière d’un petit bois.  Nous n’avions pas de piscine alors c’est là que j’allais me réfugier prendre un bain de fraîcheur.

Il y a aussi eu l’été des Olympiques de Montréal. Je traînais devant la télé mon envie de devenir une athlète de haut niveau.  Je simulais dans la pelouse  les sauts en hauteur du canadien Greg Joy.  Je saluais la foule en cambrant les reins comme Nadia Comaneci.  Je chantais « je t’aime, yes I love you » en baragouinant la suite dans une cacophonie de syllabes gutturales.

L’été du premier amour.  Son regard a éveillé des papillons voletant entre la tête et le bedon.  Tous les étés suivant n’ont jamais effacé le souvenir sublime de son baiser, un échange chaleur/fraîcheur bien dosé, ferme et pas trop moite.  Et sa main brûlante sur ma peau.

Quelques étés plus sombres: celui du premier chagrin amoureux.  Comme une déchirure au ventre.  L’été de ma fausse-couche, quelques années plus tard, aura le même effet de brique au visage.

1996: l’été des premières fraises cueillies par mon fils.  Sa bouche gourmande, ses bisous odorants, ses petits doigts maladroits tirant sur les fruits.  Le jus rouge sur le bout de son menton.

Quelle belle saison pour les traditions!  Elles déferlent comme les vagues de Cape May, tonitruantes et trop brèves, excitantes :  les vacances à la mer en famille, les ventes de garage, le pique-nique aux moustiques dans les cascades au Parc de la Mauricie, les garden parties bien arrosés, les feux de joie au camping du mont Ham-sud, les histoires de grenouilles et de couleuvres, le jogging dans la rosée du matin.

Il y a trois ans, nous avons vécu l’ultime été, celui de nos au revoir avant le départ pour la Nouvelle-Calédonie.  La veille de notre long vol, nous avons marché dans notre maison vide et jeté un coup d’œil sur nos dix valises.  C’était donc ça le lâcher-prise?  Quelle vertigineuse sensation…

Puis, nos étés se sont effacés au profit d’un climat tempéré.  Toujours beau, toujours chaud.  Quelques petits matins frisquets pour nos pauvres corps si rapidement tropicalisés.


Vous comprendrez l’émerveillement que je ressens en renouant avec la belle saison.   C’est un été généreux parce que je retrouve ma santé.  Après un hiver où je me suis sentie comme une prisonnière en Sibérie, la tête pelée, hébétée par la chimio, sonnée à cause de cette impression d'être soumise à une attaque au napalm dans mon corps, me voilà gorgée de rayons de soleil. 

J’ai planté des fines herbes en pot pour donner l’odeur de l’été à tous mes plats.  Trinqué au dessus d’une montagne de homards en mai.  J’ai volontairement régressé en trahissant un plaisir coupable, la poutine…Repris deux fois de la pouding aux bleuets bio chez mon amie Sophie.  Je suis allée manger mes émotions en faisant craquer le chocolat noir sur une crème molle.  Pris des déjeunes sur le pouce en ingurgitant des smoothies fait maison sur le chemin du travail. 

Parce que oui, cet été, j’ai repris le travail.  Le BONHEUR!  Un micro, des complices, l’étincelle qui jaillit parfois au fil d’une entrevue bien torchée.  Bien sûr, je me suis retrouvée avec des mots coincés dans la bouche de temps en temps mais tout ça finissait par un grand éclat de rire et on recommence, voilà tout! 


Définitivement, je n’oublierai jamais l’été 2013.  L’été où je me sens renaître dans mon corps de quinquagénaire.  Toujours aussi avide des plaisirs glanés, des souvenirs un peu fanés.  Bousculée par la vie mais heureuse d’être là pour vous en parler.

8 août 2013

À un cheveu du désespoir

Un brushing, une coupe, des mèches, une teinture, des rallonges.

En chignon savamment négligé, lissés, frisés, en lulus ou en queue de cheval.

Les cheveux sont les continents où se réfugient toutes nos extravagances.

Visez ces crinières chatoyantes, luxuriantes comme une forêt amazonienne, des tignasses qui chatouillent le désir des hommes et provoquent parfois même des embouteillages. 

Déchiffrez le baromètre de nos humeurs, le « Bad hair day  » et vous saurez décliner l’état mental de toutes celles qui sont si tristes que même leurs cheveux se déglinguent. 

Évitez celles qui ont la mèche courte, pompées pour un oui ou pour un non.  

Traversez le temps en reluquant les quinquagénaires nostalgiques qui ont gardé le même style depuis qu’elles ont 16 ans.

Admirez la main amoureuse de l’homme qui plongent dans la chevelure de celle qu’il aime.

Ou cette autre qui torture une mèche en l’enroulant comme une bobine du bout d’un doigt.

Un mohawk de punk, un toupet bleu stroumph, une permanente  bouclée serrée. 

La féminité se chante sur des notes bien différentes.

Et moi, j’ai vécu l’automne pendant lequel les couleurs d’un arc-en-ciel allumé en permanence dans mon firmament sont mortes les unes après les autres. 

La chimiothérapie a tué mes cheveux lentement mais sûrement.  Fini l’effusion des mèches folles.  Mon visage s’est auréolé d’un balai rêche.

Femme-marguerite, je prenais de petites couettes et je m’effeuillais dans un silence troublant.  J’ai même fait peur à ma filleule en lui tendant un petit bouquet de crins.

Puis un jour, on a tout rasé.  J’avais encore heureusement mes seins avec l’infime marque d’une griffe, celle du cancer.  Mais je n’avais plus de cheveux. 

Et  je me suis vue disparaître. 

Combien de fois ai-je fait sursauter les gens autour de moi en retirant ma tuque?  Un soupçon de peur indicible passait alors comme un nuage que je chassais avec un grand rire.  « Cancer! »,  disais-je en pointant mon drôle de « hairdo ».  « Je vais bien! », rajoutais-je comme pour écarter le voile de la mort qui flottait encore. 

Je me revois, triste comme une prisonnière en Sibérie, abreuvant le lavabo d’une crise de larmes digne des chutes Niagara.  Je faisais peur au monde…N’est-ce pas là la plus grande pénitence d’une femme à l’égo gavé au fil des années?

Pendant cette longue traversée du désert, je n’ai cependant jamais cessé de m’aimer.  Je me suis promis de revenir plus forte et moins obsédée par mon image. 

J'ai même échangé de fermes poignées de mains après des entretiens professionnels pour me retrouver un emploi.  Power kit et crâne rasé...Je ne saurais vous dire l'effet sur les employeurs potentiels!


Mes cheveux ont repoussé.  Je les aime comme ils sont :  courts et retroussés, doux comme le lichen qui envahit les pierres.  Ma routine-beauté ne doit pas excéder 5 minutes top chrono.  Mais mon sourire lui doit reluire longtemps, autant que mes robes à paillettes.  C’est l’éclat de la vie qui m’anime, l’appétit vorace qui j’espère ne que quittera plus jamais.

4 juin 2013

Une maladie qui fait peur comme le bonhomme 7 heures

Il y a des enfants qui croient que le cancer, c’est comme la varicelle :  ça s’attrape!

Julianne, avec ses beaux grands yeux qui en ont vu d’autres, m’a confiée :  «Ce n’est pas contagieux…mais j’ai un peu peur de l’attraper».  Les enfants sont ainsi :  ils disent une chose et son contraire dans la même phrase.  C’est la recette de leur candeur, on ne peut pas se tromper.

Je suis de retour dans mes chaussures de reporter à TVA et j'avais envie de casser la glace en parlant de cancer.  J'ai de la suite dans les idées, n'est-ce pas?

Pendant le tournage, je leur ai posé toutes ces questions à cause de leur enseignante en musique, madame Lucie.  Il y a quelques semaines, elle est arrivée dans la cour d’école avec sa bonne humeur habituelle et un drôle de chapeau.  Les enfants ont fait semblant de ne pas la voir. 

« J’étais peinée », m’a raconté Lucie Dubois.  « Si je n’avais pas perdu mes cheveux, je ne leur aurais pas dit que j’avais le cancer.  Je ne voulais par leur faire peur », poursuit-elle. 


C’est le seul moment lors de notre conversation où son humeur s’assombrie.  Lucie Dubois aime tellement la musique, les enfants et le bruit de la vie qu’elle ne peut pas s’imaginer en congé de maladie.  Elle prend quelques jours ici et là, histoire de récupérer quant la vague frappe fort. Malgré les traitements brutaux en chimiothérapie, il n’y a rien de plus doux à ses oreilles que les vingt-cinq flûtes à bec qui claironnent dans cette classe de 3e à l’école Jacques-Buteux de Trois-Rivières. 

« La chimio tue les microbes et les bébittes du cancer mais les enfants m’aident vraiment à passer à travers », me dit-elle. 

Ses élèves ont fini par lui poser des questions.  Ils en savent beaucoup maintenant.  Rosalie a même posé sa petite main sur son ventre pour me montrer là où était le mal de Madame Lucie :  «  Il est ici, c’est un cancer des ovaires », a-t-elle précisé avec sérieux.

Vérification faite, plus du trois quart de la classe connaît quelqu’un dans son entourage qui a mené le même combat.  Ils ont bien observé le cas « Madame Lucie » et ils ont unanimement tranché :  elle va s’en sortir parce qu’elle est toujours de bonne humeur.

Quant à la question des cheveux, je me suis tournée vers Iles, le philosophe de la classe. 

« Franchement Iles :  le coco à nu, ce n’est vraiment pas joli, n’est-ce pas?  Je veux la vérité vraie », ai-je insisté en tendant mon micro.  Le pauvre retournait sa langue pour ne pas dire de bêtises, réfléchissant au sens du commentaire qu’il s’apprêtait à faire.

« Avec ou sans cheveux, Madame Lucie est toujours la même personne et c’est une très bonne personne », a-t-il fini par décréter.

Même si je ne la connais pas vraiment, Lucie Dubois m’a touchée par sa volonté de ne pas casser la routine des jours en adoptant un traitement qui confine à la vie plutôt qu’à la dureté de la maladie.  Lorsqu’on combat le cancer, il n'y a qu'un seul temps de verbe pour conjuguer nos actions et c'est le présent.


2 juin 2013

Gros Big

Une tête frisée façon champignon atomique, les yeux cernés, la canine qui retrousse :  la fée des chiens a oublié de se pencher sur le berceau de Big, notre caniche/bichon adopté à la SPA il y a 3 semaines pour cause d’abandon. 

« Ouach!  Il est vraiment laid! ».  La petite phrase assassine ne nous atteint pas.  Je dis « nous » parce que Big fait maintenant partie de la famille et sa laideur est un signe de distinction que nous revendiquons.  Notre chien a du panache et sa dégaine de vieux chanteur des années yé-yé nous procure de savoureux moments pendant lesquels nous apprécions l’authentique nature du caniche gai qui n’a pas peur du ridicule pour faire rire la galerie.

Mais il n’a pas que des qualités… Sa première sortie propre lors d’un souper chez les grands-parents lui a valu la palme du chien le plus fripon.  Il a cependant un alibi.  Je crois sincèrement que le gazon de mon père rend les chiens « stone » tellement il est vert et parfait.  Genre green de golf moelleux comme un tapis shaggy, doux comme les cheveux d’une fille dans une pub de shampoing, délicieusement frais et qui hurle :  roule toi dedans comme dans les draps d’un lit dans la playboy mansion.  A Go, tu jouis!

Big n’a pas résisté.  Il s’est roulé dans l’herbe et je pense même qu’il en a fumé.

Après sa partouze dans la pelouse, il a étrenné son cerveau de chien de cirque pour nous faire son numéro.  Fatiguée de le voir courir comme un poney miniature sur stéroïdes, je décide de l’envoyer dans la maison en tapotant deux ou trois coussins sur le canapé, histoire de rendre son retrait préventif plus agréable.

"Voilà mon Big!  Un ti-roupillon et on va s’aimer encore dans une heure, dac?", lui roucoulais-je.  Je ne peux pas le jurer, mais je crois qu’il m’a fait un doigt d’honneur à ce moment là.  Difficile à dire, il a toujours l’air de sourire avec sa dent qui fuit sur la babine…

Et c’est là Mister Big est devenu Mister…. Big Trouble!

Nous avons fini le repas dehors sur la terrasse couverte d'une moustiquaire.  Ma mère prend le poulet – où ce qu’il en reste… - et apporte le plat à l’intérieur de la maison.  Pose  le plat sur le comptoir.  Retourne à son verre de vin.  Papote.  Pendant ce temps, Big n’obéit plus qu’à un désir :  son museau est aussi excité que celui d’une mouffette qui trébuche dans une talle de vers blancs sur un parterre de Trois-Rivières.  Direction :  carcasse de poulet!  Un peu plus haut, un peu plus loin, comme chante Ginette Reno.  Et Big sait sauter.

On est dehors à siroter les derniers rayons de soleil en comptant les couleurs qui colorent l’horizon.  Pendant ce temps, mon mutin avait apporté son pique-nique sur un fauteuil pour y nettoyer chacun des os avec le même  acharnement qu’un Hannibal Lecter.  Puis, il file vers la sortie aussitôt que la porte s’entrouve, laissant le cadavre derrière lui.  Je le rattrape pour l’attacher à son arbre préféré…et il s’enfuit encore.  En fait, il ne s’enfuit pas, il fait plutôt le circuit du 24 heures de Daytona en courant comme un dingue autour de moi, trop heureux de retrouver son carré de pelouse.  Je rigole un peu mais j’essaie d’avoir l’air d’une matrone pour qu’il me prenne au sérieux.  Je voudrais bien lui faire donner la patte en ce moment pour montrer à la galerie incrédule que je suis une bonne mère pour ce chien complètement petté qui a fait une overdose de poulet.  Nul ne sait encore que le chien s’est empiffré comme s’il avait participé à un concours de mangeurs de hot dogs.

Mais la vérité éclate.  Ou plutôt, mon chien déborde.  Il vomit sur le gazon parfait et repart à courir comme s’il était un danseur dans un clip de Madonna.  Et il fonce dans la moustiquaire de la véranda de mes parents.  Et le déchire.  Ah!  Quelle finale!


Notre premier souper s’est terminé sur la banquette de l’auto.  Et c’est lui qui était au volant pendant que je finissais mon dessert.  Après coup, j’aurais bien voulu le mettre dans le coffre pour ne pas voir sa face de chien laid dans le rétroviseur mais il a finalement fini par se lover sur le siège arrière entre mes deux filles.  C’est plus fort que nous, on l’aime.

De retour à la maison, je lui fais faire sa petite promenade.  Étant donné qu'il a cassé son collier, je lui mets une ceinture de filles autour du cou pour y attacher sa laisse.  Il a vraiment l'air d'un con et je l'aime plus encore.

24 mai 2013

Chéri, c’est tellement vintage!


avant...
Vintage, hipster, boho-chic, de jolis mots pour remettre en service les débris antiques amassés au fil des années. 

Un coup de pinceau et beaucoup d’amour, ça ne prend pas grand-chose pour déterrer le coquet sous le vieux vernis.  Fastoche, comme dirait Princesse des îles.  Sauf quand il s’agit d’une maison complètement «vintage». 

C’était en janvier dernier alors que nous magasinions notre «home sweet home».  Lorsque j’ai pénétré dans ce qui allait devenir ma maison, hipster n’est pas le premier mot qui m’est venu à l’esprit.  J’ai ressenti un grand frisson devant ce monument pur kitsch.  Authentiquement provençal français avec des kilomètres de rideaux taillés dans les robes de Sissi impératrice d’Autriche. Le temps s’était figé :  nous sommes entrés dans le Twilight zone des années 70. 
Et j’ai été aspirée dans une quatrième dimension… Aussi étrange que cela puisse paraître, j’ai mentalement abattu deux murs, posé des parquets de bois sombres, fait surgir la cuisine de mes rêves.

Dans mon rêve éveillé, il n’y avait pas de tempête de poussière de gypse ni de coûteuses surprises une fois les pièces déshabillées.  Je n’ai pas imaginé les fréquents allers-retours à la quincaillerie où j’ai fini par connaître les commis par leur petit nom.  Dans cette vision de la maison parfaitement «home stagée», blanche comme une cathédrale en Sicile, rien sur la colossale feuille de temps de valeureux ouvriers payés trois fois rien :  mes parents et chéri…

Ils ont trimé dur mais rien ne les a arrêtés.  Ils ont gratté le papier peint pouce par pouce et je les soupçonne d’avoir parfois utilisé leurs dents  pour faire disparaître le motif à fleurs.  Et moi, aussi inutile qu’une pince à cheveux sur la tête de Kojak, je les ai regardés redonner une seconde vie à «ma» maison, celle à laquelle j’ai rêvé.

Vintage, un joli mot en forme de trappe à ours.  Pensez y à deux fois lorsque cette chaise rembourrée échouée sur un trottoir vous fera de l’œil.  Ce n’est pas une simple chaise avec du potentiel.  C’est un projet de plus pour vous prouver que l’amour peut venir à bout de tout, même des chaises défoncées au velours râpé.

Chez nous, on ne dit plus vintage… Chéri se couvre les oreilles à deux mains parce qu’il connaît par cœur la tyrannie des vieilleries maganées qui ne révèle leur beauté qu’à grands coups de patient « gossage ».  Ceci dit mon amour, je préfère ton don pour ressusciter les maisons à tous les bouquets de fleurs du monde.  Ma maison hipster n’a pas de prix.

après...

21 mai 2013

Cherche et trouve Big


Petite ronde dans la cour des miracles de la SPA-Mauricie.  Les museaux se pointent entre les barreaux, quêtant le bout d’un doigt pour une micro-caresse.  Un montagne des Pyrénées, véritable mammouth blanc, lève un œil las, sûr de ne pas avoir tout ce qu’il faut pour l’opération séduction.  Ben non, pas toi mon gros, je cherche un toutou, pas un meuble.  Et cet autre, un berger allemand fort comme un bœuf, altier comme le prince William :  il a l’air inoffensif mais je l’imagine déjà, me tirant derrière lui comme un cerf-volant fou, prêt à attaquer toutes les petites filles du quartier avec ses grands crocs blancs.  Non merci, je ne veux pas d’un chien psychopathe.  Quant à ce beagle grassouillet, il a déjà trouvé preneur. 

« Quel type de chien cherchez-vous? », me demande la technicienne, une jolie brunette qui parle aux chiens sans complexe. 

Je cherche un « ti » chien.  Mais pas trop minus. 

Elle me sort un beau grand caniche royal noir, une pauvre bête raide maigre, prête à pisser de peur devant ma paume tendue.  Les reliquats de la maltraitance.  Si j’étais missionnaire, j’en aurais fait mon chemin de croix.  Je l’aurais requinqué avec des biscuits à chien fait maison.  Mais voilà, j’ai déjà donné dans une autre vie en Nouvelle-Calédonie avec une peste nommée Bouboule. 

« J’ai un autre caniche croisé bichon, si ça vous intéresse… », poursuit-elle, jamais à court d’animaux.

« Je veux bien le voir.  Mais je veux un chien, pas un projet ». 

Et le voilà qui arrive, paradant comme une majorette, crotté, ébouriffé mais malgré tout fier.

« Ouin….Il est mignon.  C’est quoi son nom? »

Big.  Il s’appelle Big.

On passe la laisse à Big et on poursuit l’observation dans le stationnement de la SPCA.  Définitivement craquant avec son tempérament enjoué.  Pisse sur les poteaux avec la patte littéralement accrochée derrière l’oreille.  Ne fais pas la sourde oreille aux commandements « assis » et « couché ».  Cours comme un lièvre sur l’acide, heureux d’être en vie après avoir erré dans les ruelles de Shawinigan. 

Big?  Tu cherches une famille?  Bingo, c’est ton jour de chance.  Et le mien aussi!

Rien à voir avec les chiens trophées.  Disons que Big a de la gueule et une personnalité attachante.  Un croisement entre un alpaga et une vieille star du rock avec son drôle d’affro. 

Notre nouveau compagnon a envie d’un peu de tranquillité après un début de vie tumultueux.  Ça tombe bien, nous aussi on a besoin de goûter à la douceur routinière des jours dans notre nouvelle maison. 

Bientôt, on complètera le tableau avec un chat et un poisson, histoire de prendre solidement racine.

14 mai 2013

My radical choice




« Brad, tu m’aimes toujours? ».  Angelina doute.  Ce soir, les cicatrices sur ses seins lui font mal.  Ses enfants, ses merveilleux enfants, ont renversé un verre de lait, levé le nez sur son pâté chinois; ils se sont essuyés la bouche avec la nappe et ont failli ébouillanter le chat avec leur bol à soupe.  Ils ont été… des enfants.  Vifs comme des petits singes, insouciants, heureux.  Pour eux, Angelina n’est pas une demi-déesse descendue tout droit de la planète Hollywood, c’est une mère comme une autre à qui ils crient :  maman, où t’as mis mon t-shirt rouge?  Viendra un jour où ils comprendront ce que leur mère, si ordinaire à leurs yeux, a fait pour eux.  Une mastectomie préventive pour rester là, à essuyer les dégâts, sécher leurs larmes, béquer les bobos et sourire devant la gaieté de leur brouhaha.

Depuis la mort de sa mère en 2007, Angelina tourne et retourne dans sa tête les sombres statistiques rattachés à son risque de développer un cancer du sein et de l’utérus. 

Bien des fois, elle s’est vue debout sur le bord d’une autoroute quatre voies en pleine heure de pointe.  Les automobilistes filent à plus de 100 km/hr.  Elle s’est imaginée en train de prendre une grande respiration pour foncer droit devant.  Dans son scénario, elle meurt inévitablement sous les roues d’un véhicule.  Pourquoi traverser l’autoroute quand on a 87 pourcent de risques de finir écrasée?

Angelina a opté pour le chemin le moins fréquenté, le plus à pic, le seul sentier qui ne la mènera pas jusqu’à une fosse dangereuse :  ablation des seins.  « My medical choice » est le titre qui coiffe sa lettre ouverte publiée aujourd’hui dans le New York Times. 


Un choix médical, radical et très certainement longuement mûri puisqu’il permet d’échapper à tous ces drames quotidiens.  Au canada, 14 femmes meurent chaque jour d’un cancer du sein. 

La mastectomie préventive est-elle une forme de « mutilation »?  A mon avis, c’est plutôt le cancer qui mutile et laisse des traces.  Dans mon cas, il s’agit d’une toute petite cicatrice en forme de sourire, une blessure de guerre que je préfère oublier. 

Et les cicatrices d'Angelina Jolie?  Ce sont les frontières d'un territoire qu'elle a elle même tracées et que le cancer ne franchira pas.