22 août 2013

To like or not to like


“Maman, pourquoi est-ce que je n’ai pas beaucoup de “like” sur mes photos de profil?”. 

Princesse des îles scrute le désert sur son mur.  La grande famine.  Si peu d’amour…  Comment se fait-il qu’on te « like » avec autant de parcimonie?  On saupoudre ici et là mais c’est timide, cet élan de dévotion.

Alors à cette grande question existentielle,  «  Miroir, Miroir, dis-moi qui me like? », voici ce que je te réponds.

Si le fan club se limite aux vrais amis, il y a de l’eau dans le gaz, tu as raison ma chérie.  Pourquoi ne pas accrocher quelques articles sommaires à ta carte d’identité virtuelle?  La petite moue bouchonnée, le fameux « bec de canard » (duck face), devrait en principe susciter une première vague de clics sur « J’aime »… Mais c’est la base, n’est-ce pas?  Alors pourquoi s’arrêter là?  


Mets-toi dans la peau d’un vendeur de pub et tartine un peu de gloss sur la photo du Big Mac.  Le mot clé?  Tu dois te rendre gourmande!   Le bikini fluo avec un décor de mer, un baiser soufflé comme une bulle de savon, un clin d’œil coquin, une main manucurée posée sur la hanche avec des toiles de Dali sur chacun des ongles et tu auras une explosion.  Like LIKE LIKE!!!!!

Nous venons d’atteindre 50 « like » et ce n’est peut-être pas encore assez… Si tu veux le feu d’artifice de l’International Loto Québec, fais semblant d’embrasser ta meilleure amie.  Quoi?  Tu me demandes c’est quoi une meilleure amie?  Hummm….Ah oui!  Je me souviens du code, une BFF.  Bon, voilà, tu as tout compris.  Tu n’es pas lesbienne?  Mais ce n’est pas grave ma chérie!  On est en plein modelage narcissique alors s’il te plaît, ne m’interromps pas!

Si après tout ça, tu n’as pas enflammé le baromètre des « like », il y a des moyens, disons….plus laborieux.  Laborieux, c'est quoi? Il faut que tu t’y mettes, c’est du boulot pas rémunéré alors cramponne toi à ton Mac Book, on va galérer ensemble pendant de longues heures.

Scrute tes statuts, une bête avec un appétit vorace que tu dois alimenter en étant plus ingénue/poétique/humoriste que les autres.  N’oublie pas que nous sommes plus d’un milliard d’utilisateurs Facebook alors oui, j’avoue, la barre est haute.  Et ça ne ferait pas de mal si tu pouvais écrire de temps en temps en anglais même si ton niveau est plutôt… Plutôt bon.  Tu es une enfant extraordinaire, il ne faut jamais en douter même si tu te sens un peu dans la cocotte-minute avec toute cette pression.

La suite est tordue mais aux grands maux les grands moyens.   Bricole-toi des profils pastiches et va te « liker » toi-même.  Je sais, ce n’est pas bien d’aller doper ton propre profil mais à la guerre comme à la guerre.  C’est juste une expression, ne t’en fais pas.

Quoi? Après tout ça, tu n’auras pas le temps de te consacrer à notre réussite scolaire?  Mais tu sais bien comment ta maman chérie y tient…Et puis, pense à tous ces « like » qui te rempliront de bonheur… Mais non, ma puce: Facebook n’est pas une prison!  C'est un buffet à volonté où tu nourris ton estime.  

Tu me demandes quoi encore...?  Bien sûr que je te like!  Allez, fais du vent, y'a du travail!


21 août 2013

Mes étés

Il y a eu l’été de mes 7 ans, celui où j’ai vu mon grand-père en bédaine besogner en pleine canicule pour bâtir notre maison avec mon père.  Ce n’était plus une jeunesse mais il pouvait encore enfoncer un clou en moins de 3 coups.  Han-han!

C’était l’été de la liberté.  Fini le village et ses trottoirs qui étouffaient les pissenlits entre les craques.  Je déménageais en « banlieue » avec en prime, la lisière d’un petit bois.  Nous n’avions pas de piscine alors c’est là que j’allais me réfugier prendre un bain de fraîcheur.

Il y a aussi eu l’été des Olympiques de Montréal. Je traînais devant la télé mon envie de devenir une athlète de haut niveau.  Je simulais dans la pelouse  les sauts en hauteur du canadien Greg Joy.  Je saluais la foule en cambrant les reins comme Nadia Comaneci.  Je chantais « je t’aime, yes I love you » en baragouinant la suite dans une cacophonie de syllabes gutturales.

L’été du premier amour.  Son regard a éveillé des papillons voletant entre la tête et le bedon.  Tous les étés suivant n’ont jamais effacé le souvenir sublime de son baiser, un échange chaleur/fraîcheur bien dosé, ferme et pas trop moite.  Et sa main brûlante sur ma peau.

Quelques étés plus sombres: celui du premier chagrin amoureux.  Comme une déchirure au ventre.  L’été de ma fausse-couche, quelques années plus tard, aura le même effet de brique au visage.

1996: l’été des premières fraises cueillies par mon fils.  Sa bouche gourmande, ses bisous odorants, ses petits doigts maladroits tirant sur les fruits.  Le jus rouge sur le bout de son menton.

Quelle belle saison pour les traditions!  Elles déferlent comme les vagues de Cape May, tonitruantes et trop brèves, excitantes :  les vacances à la mer en famille, les ventes de garage, le pique-nique aux moustiques dans les cascades au Parc de la Mauricie, les garden parties bien arrosés, les feux de joie au camping du mont Ham-sud, les histoires de grenouilles et de couleuvres, le jogging dans la rosée du matin.

Il y a trois ans, nous avons vécu l’ultime été, celui de nos au revoir avant le départ pour la Nouvelle-Calédonie.  La veille de notre long vol, nous avons marché dans notre maison vide et jeté un coup d’œil sur nos dix valises.  C’était donc ça le lâcher-prise?  Quelle vertigineuse sensation…

Puis, nos étés se sont effacés au profit d’un climat tempéré.  Toujours beau, toujours chaud.  Quelques petits matins frisquets pour nos pauvres corps si rapidement tropicalisés.


Vous comprendrez l’émerveillement que je ressens en renouant avec la belle saison.   C’est un été généreux parce que je retrouve ma santé.  Après un hiver où je me suis sentie comme une prisonnière en Sibérie, la tête pelée, hébétée par la chimio, sonnée à cause de cette impression d'être soumise à une attaque au napalm dans mon corps, me voilà gorgée de rayons de soleil. 

J’ai planté des fines herbes en pot pour donner l’odeur de l’été à tous mes plats.  Trinqué au dessus d’une montagne de homards en mai.  J’ai volontairement régressé en trahissant un plaisir coupable, la poutine…Repris deux fois de la pouding aux bleuets bio chez mon amie Sophie.  Je suis allée manger mes émotions en faisant craquer le chocolat noir sur une crème molle.  Pris des déjeunes sur le pouce en ingurgitant des smoothies fait maison sur le chemin du travail. 

Parce que oui, cet été, j’ai repris le travail.  Le BONHEUR!  Un micro, des complices, l’étincelle qui jaillit parfois au fil d’une entrevue bien torchée.  Bien sûr, je me suis retrouvée avec des mots coincés dans la bouche de temps en temps mais tout ça finissait par un grand éclat de rire et on recommence, voilà tout! 


Définitivement, je n’oublierai jamais l’été 2013.  L’été où je me sens renaître dans mon corps de quinquagénaire.  Toujours aussi avide des plaisirs glanés, des souvenirs un peu fanés.  Bousculée par la vie mais heureuse d’être là pour vous en parler.

8 août 2013

À un cheveu du désespoir

Un brushing, une coupe, des mèches, une teinture, des rallonges.

En chignon savamment négligé, lissés, frisés, en lulus ou en queue de cheval.

Les cheveux sont les continents où se réfugient toutes nos extravagances.

Visez ces crinières chatoyantes, luxuriantes comme une forêt amazonienne, des tignasses qui chatouillent le désir des hommes et provoquent parfois même des embouteillages. 

Déchiffrez le baromètre de nos humeurs, le « Bad hair day  » et vous saurez décliner l’état mental de toutes celles qui sont si tristes que même leurs cheveux se déglinguent. 

Évitez celles qui ont la mèche courte, pompées pour un oui ou pour un non.  

Traversez le temps en reluquant les quinquagénaires nostalgiques qui ont gardé le même style depuis qu’elles ont 16 ans.

Admirez la main amoureuse de l’homme qui plongent dans la chevelure de celle qu’il aime.

Ou cette autre qui torture une mèche en l’enroulant comme une bobine du bout d’un doigt.

Un mohawk de punk, un toupet bleu stroumph, une permanente  bouclée serrée. 

La féminité se chante sur des notes bien différentes.

Et moi, j’ai vécu l’automne pendant lequel les couleurs d’un arc-en-ciel allumé en permanence dans mon firmament sont mortes les unes après les autres. 

La chimiothérapie a tué mes cheveux lentement mais sûrement.  Fini l’effusion des mèches folles.  Mon visage s’est auréolé d’un balai rêche.

Femme-marguerite, je prenais de petites couettes et je m’effeuillais dans un silence troublant.  J’ai même fait peur à ma filleule en lui tendant un petit bouquet de crins.

Puis un jour, on a tout rasé.  J’avais encore heureusement mes seins avec l’infime marque d’une griffe, celle du cancer.  Mais je n’avais plus de cheveux. 

Et  je me suis vue disparaître. 

Combien de fois ai-je fait sursauter les gens autour de moi en retirant ma tuque?  Un soupçon de peur indicible passait alors comme un nuage que je chassais avec un grand rire.  « Cancer! »,  disais-je en pointant mon drôle de « hairdo ».  « Je vais bien! », rajoutais-je comme pour écarter le voile de la mort qui flottait encore. 

Je me revois, triste comme une prisonnière en Sibérie, abreuvant le lavabo d’une crise de larmes digne des chutes Niagara.  Je faisais peur au monde…N’est-ce pas là la plus grande pénitence d’une femme à l’égo gavé au fil des années?

Pendant cette longue traversée du désert, je n’ai cependant jamais cessé de m’aimer.  Je me suis promis de revenir plus forte et moins obsédée par mon image. 

J'ai même échangé de fermes poignées de mains après des entretiens professionnels pour me retrouver un emploi.  Power kit et crâne rasé...Je ne saurais vous dire l'effet sur les employeurs potentiels!


Mes cheveux ont repoussé.  Je les aime comme ils sont :  courts et retroussés, doux comme le lichen qui envahit les pierres.  Ma routine-beauté ne doit pas excéder 5 minutes top chrono.  Mais mon sourire lui doit reluire longtemps, autant que mes robes à paillettes.  C’est l’éclat de la vie qui m’anime, l’appétit vorace qui j’espère ne que quittera plus jamais.