Il y a des enfants qui croient que le cancer, c’est comme
la varicelle : ça s’attrape!
Julianne, avec ses beaux grands yeux qui en ont vu
d’autres, m’a confiée : «Ce
n’est pas contagieux…mais j’ai un peu peur de l’attraper». Les enfants sont ainsi : ils disent une chose et son contraire dans la
même phrase. C’est la recette de leur
candeur, on ne peut pas se tromper.
Je suis de retour dans mes chaussures de reporter à TVA et j'avais envie de casser la glace en parlant de cancer. J'ai de la suite dans les idées, n'est-ce pas?
Pendant le tournage, je leur ai posé toutes ces questions à cause
de leur enseignante en musique, madame Lucie.
Il y a quelques semaines, elle est arrivée dans la cour d’école avec sa
bonne humeur habituelle et un drôle de chapeau.
Les enfants ont fait semblant de ne pas la voir.
« J’étais peinée », m’a raconté Lucie
Dubois. « Si je n’avais pas perdu
mes cheveux, je ne leur aurais pas dit que j’avais le cancer. Je ne voulais par leur faire peur »,
poursuit-elle.
C’est le seul moment lors de notre conversation où son
humeur s’assombrie. Lucie Dubois aime
tellement la musique, les enfants et le bruit de la vie qu’elle ne peut pas s’imaginer
en congé de maladie. Elle prend quelques
jours ici et là, histoire de récupérer quant la vague frappe fort. Malgré les
traitements brutaux en chimiothérapie, il n’y a rien de plus doux à ses
oreilles que les vingt-cinq flûtes à bec qui claironnent dans cette classe de 3e
à l’école Jacques-Buteux de Trois-Rivières.
« La chimio tue les microbes et les bébittes du cancer
mais les enfants m’aident vraiment à passer à travers », me dit-elle.
Ses élèves ont fini par lui poser des questions. Ils en savent beaucoup maintenant. Rosalie a même posé sa petite main sur son
ventre pour me montrer là où était le mal de Madame Lucie : « Il est ici, c’est un cancer des
ovaires », a-t-elle précisé avec sérieux.
Vérification faite, plus du trois quart de la classe
connaît quelqu’un dans son entourage qui a mené le même combat. Ils ont bien observé le cas « Madame
Lucie » et ils ont unanimement tranché : elle va s’en sortir parce qu’elle est
toujours de bonne humeur.
Quant à la question des cheveux, je me suis tournée vers
Iles, le philosophe de la classe.
« Franchement Iles : le coco à nu, ce n’est vraiment pas joli,
n’est-ce pas? Je veux la vérité
vraie », ai-je insisté en tendant mon micro. Le pauvre retournait sa langue pour ne pas
dire de bêtises, réfléchissant au sens du commentaire qu’il s’apprêtait à
faire.
« Avec ou sans cheveux, Madame Lucie est toujours la
même personne et c’est une très bonne personne », a-t-il fini par
décréter.
Même si je ne la connais pas vraiment, Lucie Dubois m’a
touchée par sa volonté de ne pas casser la routine des jours en adoptant un
traitement qui confine à la vie plutôt qu’à la dureté de la maladie. Lorsqu’on combat le cancer, il n'y a qu'un seul temps de verbe pour conjuguer nos actions et c'est le présent.