En Australie avec les kangourous, les koalas et le crabe
J’étais pendue au bout du fil d’un téléphone à 22 lignes
dans le hall d’un chic hôtel de Queen’s Street à Brisbane. C’est là que j’ai
appris que j’avais le crabe.
« Bonjour docteur Machin! C’est Chantale, votre patiente canadienne… ».
J’imagine le gynécologue dans son cabinet de Nouméa, un bon vivant
dans la cinquantaine, son téléphone cellulaire collé à l’oreille, en train de
chercher le dossier de la « canadienne ».
Seulement voilà :
pas de froufrou dans la paperasse accumulée sur son bureau. Il me répond avec un soupçon de reproche dans
la voix :
« Ahhh! Enfin,
vous voilà! J’ai laissé plusieurs
messages et j’ai tenté de vous joindre par courriel et je n’avais toujours pas de
nouvelles! ».
Mettons nous tous à ce moment précis sur la touche Pause : j’ai en ligne un médecin spécialiste qui a
décroché son téléphone cellulaire après deux drings! et il est en train de me dire qu’il me coure après depuis une semaine. Frissons sur
ce fantasme que j’ai longtemps nourri dans les salles d’attente du Québec. Mais ce sera l’objet d’une autre réflexion…
« Pis? »
Question succincte parce que j’ai la bouche sèche et les jambes en
coton.
« C’est pas bon, c’est vraiment pas bon…Vous avez un
début de cancer du sein, il faut tout de suite vous faire soigner »
Dans cette phrase débitée en 10 secondes, j’ai attrapé au
vol trois mots : début de
cancer. Pas un cancer au complet, plutôt
les prémices d’un mini calvaire, un embryon de 8 mm, un bourgeon ou au pire, une verrue. Rien d’autre qu’un début. Un crabe qui se débat dans le creux d’une
paume de main. J’hyperventile tout de même un peu mais je reprends vite mes
esprits. J’ai d’autres chats à fouetter :
annoncer la nouvelle à mon mari et à mes trois enfants et ensuite poursuivre notre
merveilleux séjour en Australie. Le
crabe peut attendre une petite semaine avant de se faire écrabouiller comme un
vulgaire cafard.
C’est donc au beau
milieu de ce hall d’hôtel grandiloquent que j’ai annoncé la nouvelle à mes
enfants et à mon mari. Ils ont refermé leur quatre
paires de bras sur moi, la meilleure armure qui soit. J’ai soufflé sur leurs larmes avec une seule
envie: éteindre le feu brûlant de leur crainte face à la mort.
« Je ne veux pas perdre mes deux mères », a
chuchoté ma plus jeune, Princesse des îles.
Je l’étreins avec amour espérant ainsi étouffer son angoisse. Je lui fais le topo du
cancer stade-1, je lui exhibe le bout de mon petit doigt pour illustrer la taille
de cette vilaine bête, je sautille en battant des bras pour prouver que je
pète la forme. Je me fends d’un large
sourire pour souligner ma rage de vivre et mon indécrottable bonne humeur.
Dans ce mot, « cancer », il y a ce fil fragile qui
nous relie à l’angoisse d’un long tunnel sombre et froid. Il est normal que mes enfants se sentent eux
aussi happés à la vue de ce gouffre qui s’ouvre devant eux. Je redoute le crabe comme les tricots rayés, ces serpents mortellement venimeux de la
Nouvelle-Calédonie. Fort heureusement,
ils n’ont qu’une toute petite bouche qui ne leur permet pas d'inoculer leur
foudroyante perfusion de venin. Malgré cette évidence, je les
regarde de loin et je les tiens en respect.
Le cancer me force à me hisser
haut, très haut, pour voir la beauté de ma vie.
Et elle est vachement belle ma vie : une famille, des amis et 48 ans de pur bonheur
en arrière de la cravate. C'est de l’artillerie
lourde pour entamer ce combat, n’est-ce pas madame-monsieur?
On a passé un quart d’heure dans le hall d’hôtel puis on a
repris le chemin de l’Australie. C’est
un grand pays et on n’a pas de temps à perdre.
Nous sommes allés fourbir nos munitions en emmagasinant dans notre
mémoire tous ces paysages tourmentés par la violence de la force de la vie.
J’étais une expatriée dans le Pacifique. Me voilà maintenant guerrière avec le couteau
entre les dents.
Vendre sa maison, planquer sa vie dans dix valises et mettre
le cap sur une petite île paradisiaque du Pacifique avec mari et enfants :
c’est le sujet de ce blog depuis les deux dernières années.
Il y a eu la brousse et ses aventures abracadabrantes. Les rêves éveillés devant la splendeur d’un
bout du monde qui n’a jamais cessé de nous souffler par la puissance de sa
beauté. Sincèrement, il fallait parfois
que je me pince avant de m’accouder devant mon clavier d’ordinateur pour vous
décrire ce bonheur.
Il y a bien sûr eu quelques épisodes ou j’ai chiqué la
guenille à propos de tout et de rien.
Trois jours de pluie, une pénurie de carottes, des ados rebelles qui
trépignent parce qu’il veulent « vivre leur vie » : il suffisait de peu pour que je démarre au quart de tour, prête à épancher mes
petites et grandes frustrations. Entre
les lignes de ces chroniques caustiques, j’ai toujours cherché à mettre des
sourires.
J’aime vous savoir là, au fil des péripéties. Restez avec moi pour la suite de ce drôle de
récit. Je continuerai à vous décrire ma Calédonie. J'ajouterai cependant quelques épisodes sur "mon" cancer.
3 commentaires:
juste pour te dire que à Koné, à Nouméa, des chez les Kiwis ou les Australiens : on reste accroché à ton blog ! pas de risque de chute d'audience... pour le crabe, tu vas en faire de la friture, de la bouillie, des miettes de ce petit crabe de rien !! nous n'avons aucun doute la dessus !
J'ai été ravie de te croiser à Pindai
Mille bises à toute la tribu
Fab, Adèle et Gab
Il y a quelques mois, le tam-tam de la Brousse me fait découvrir ton blog. Le style, le ton & l'humanité qui s'en dégage me séduisent immédiatement. J'en fait écho jusque dans ma douce France.Et voilà que ce soir mon enthousiasme retombe tel un soufflé, le crabe a débarqué.On ne se connait pas mais je sais que la Force est en toi et je t'envoie mon soutien.Je suis là ( à Pouembout et derrière mon ordi) et gougounesettalonshauts au top de mes favoris.
Gaëlle
Bonjour Miss Gougounes,
Whaou j'adore le ton et l'orientation que tu donnes à ton blog. Je retourne lire en marche arrière et nous te suivrons à travers vos différente aventures. Un peu rock and roll suite à cette nouvelle qui est tombée mais bon tu vas avoir la force avec ta jolie tribu pour continuer vos belles découvertes ma belle.
Je vous envoie plein de courage et continue à me faire partager ce beau caillou que j'aime tant.
Allez en route pour de belles aventures tous ensemble.
La biz,
TiteZa
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