Le gynécologue de la Baie des Citrons à Nouméa a mimé l’incision
sur son propre torse et sous l’aisselle côté cancer pour me montrer que là
aussi, l’affaire était ketchup. Il ne s’agit
pas d’une opération à cœur ouvert, ce n’est qu’une tumorectomie. Ma chirurgienne à Trois-Rivières, plus
pragmatique, m’a fait un dessin :
trois coups de crayon et j’avais tout compris.
On sait comment se débarrasser d’un cancer mais on ne sait
pourquoi on se retrouve un jour avec cette bébitte-là. Il me vient en tête une phrase célèbre d’un
certain Caliméro : « Alors là,
c’est vraiment trop injuste! » Pour
ceux qui ne sont pas de la génération Bobino et Caliméro, voici la référence :
Quand on a le cancer, on farfouille dans son passé à la
recherche du bogue. C’est la chasse aux
crottes. J’ai passé en revue les moins
bons souvenirs de mon enfance. Il n’y en
n’a vraiment pas tant que ça. En fait, je suis tombée
sur des moments magiques de bonheur. Mais ce n’étais pas là ma quête. J’ai
parcouru les chemins foisonnants de la mémoire, espérant tomber sur une
anecdote enfouie, une vieille douleur perdue, un traumatisme obscur. Ça m’a presque donné envie d’écrire mon
autobiographie. Ma vie est tellement
1970.
Il y a des bribes de mon enfance qui expliquent un peu ceci,
un peu cela. L’hiver où ma mère a
décrété qu’on vivait dans le sous-sol de notre bungalow pour sauver sur la facture
d’électricité. C’était rigolo mais quand même un peu
gênant. Mes après-midi de grande solitude
où je jouais au curé : je récitais
la messe avec des hosties en pain blanc découpés avec un bouchon de bière. Mon amour secret pour Jacquot, le fils du
notaire, qui m’a affublée du surnom Chandail Cardigan devant tous mes camarades
de classe (aujourd’hui devenu mon adresse courriel, chandailcardigan@hotmail.ca). La découverte de l’émission Parlons Sexe sur
mon radio transistor avec Huguette Proulx quand j’avais 8 ans et mon étrange
tourment face aux « choses sales ».
Ma peur des motards, les Popeyes, déboulant au village en pleine nuit,
un défilé plus angoissant que le train du CN qui faisait trembler les murs de
notre haut de duplex. La punition (bien) méritée pour avoir fumé en cachette à
5 ans parce que je voulais jouer au cow boy.
L’été où j’ai failli me noyer avec ma cousine au camping du Lac au
Bouleau à St-Félix-de-Kingsey. L’autre
où elle m’a plongé la tête sous l’eau un peu trop longtemps juste pour jouer
(cette fois là, j’ai vraiment cru que j’allais mourir). La salle de réveil à l’hôpital de Nicolet après
l’ablation d’un de mes reins quand j’avais 3 ans. Les pleurs de ma mère lorsqu’elle a fait une
fausse couche. Mon étrange gardienne qui
m’a éveillée aux charmes d’Elvis Presley alors que je n’avais que 6 ans. J'aimais le King mais je la trouvais louche. Le décès de mon cousin Claude fauché par un
chauffard alors qu’il allait s’acheter de la gomme balloune. Mon premier
slow dansé avec Christian plutôt qu’avec Carl. C’était Carl que je désirais pourtant. Mes attaques de boulimie. Ma première peine d’amour, un certain Mario
qui conduisait un Duster, et ces mots
qui résonnent encore : je ne t’aime
plus, des mots comme des vilains crachats tombés au bout de mes souliers. Mes nuits blanches parce que je n’arrivais
pas à digérer les longues colonnes de vocabulaire en latin. L’adolescence et ma peur viscérale d’être
grosse. L’amitié tordue d’un prof du
secondaire qui voulait faire de moi sa lolita (j’avais 17 ans et des antennes
assez sensibles pour capter l’arnaque. Je
n’ai toujours pas pardonné). Ma première
gueule de bois à 16 ans. Les départs
déchirants. L’éveil brutal au racisme
pendant une année passée en Caroline du Nord.
Le chien que je n’ai jamais eu et toujours désiré. Les chicanes de Barbie avec ma sœur.
Est-ce que tout ça finit par donner le cancer?
Je ne crois pas mais je n’ai pas pris de chance et j’ai fait
mes devoirs : trois thérapies chez
le psy, des boîtes de mouchoirs bien imbibés de larmes et….l’affaire est
ketchup.
Que nenni! On ne s’assoit
pas comme ça sur le bonheur en disant GOTCHA!
J’ai connu des années de sprint intense et de grande félicité à la
puissance 10. Un mari et trois enfants
plus tard, je me rends compte que je dois encore et encore sarcler patiemment
pour ne pas trop m’encombrer l’existence avec un fouillis d’herbes folles, une
plate-bande où les fleurs rares et les herbes odorantes se partagent un rayon
de soleil avec le chiendent. Le cancer,
c’est le bouton RESET.
Je remets les
pendules à l’heure.
Je n’ai pas peur de mourir.
J’ai peur de ne pas bien vivre, tout simplement.
1 commentaire:
Ouais! je crois que tu as vraiment le sens de la vie et le bonheur facile!
Il ne faut pas donner de l'importance à la maladie... C'est bien de peser sur "Reset" et de te forger d'autres beaux souvenirs...
Lâche pas et laisse la VIE t'emporter!
Line xx
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