28 déc. 2010

Le temps des résolutions
C’était le 31 décembre 1989.   Je me souviens de cet étrange jour de l’an passé dans une petite chambre miteuse de Prague.  Quelques jours plus tôt, nous avions passé Noël dans un château de Budapest, un monument usé et laissé à l’abandon à la grande joie des routards qui y trouvaient refuge pour pas cher.
Nous étions trois joyeux naufragés dans une Europe de l’Est en pleine ébullition, une Europe secouée par la chute du mur de Berlin :  Stéphane, Fred et moi, étudiants sans le sous, traînant notre sac à dos de l’Allemagne jusqu’en Autriche, en passant par la Hongrie et la Tchécoslovaquie.  Avons-nous visité d’illustres monuments empoussiérés? Que nenni!  L’histoire se déroulait plutôt sous notre nez.  Nous avons vu dans les rues de Budapest des expatriés roumains brandir le drapeau de leur pays pour saluer la mise à mort de Ceausescu, nous avons tremblé d’excitation en participant au bain de foule de Vaclav Havel sur la place Venceslas, nous avons pleuré dans une loge rouge velour de l’opéra de Prague alors que la foule s’est levée d’un trait pour chanter sa nouvelle liberté.
Et pendant la dernière heure de cette inoubliable année 1989, nous avons fait des résolutions. Nous avons devisé en trinquant à la barack palinka, une eau-de-vie qui rend complètement cinglé.
« Je vais faire du jogging! », et hop, on trinque et on cale.
« Je vais découvrir le monde! »
« Je vais réussir mes études! »
« Je vais fonder une famille…un jour! »
C’est comme ça qu’il faut le boire, ce satané alcool : en faisant la promesse de devenir quelqu’un de meilleur.  Parce qu’après sept ou huit résolutions, je vous jure que vous êtes couchés et bons pour la civière.
Cette année, je vais me resservir quelques rasades pour porter un toast à la nouvelle année.  Oubliez la torpeur des premières semaines passées ici en Nouvelle-Calédonie.  Mettez une croix sur mon tempérament de nord-américaine pointilleuse qui jacasse inutilement sur les boîtes de petits pois verts.  Enfermez la mère poule qui étouffe sa couvée d’oisillons prêts à battre des ailes.  Je prends une rasade pour saluer mes futures tribulations dans ce pays où les ondées côtoient un coin de ciel plaqué d’un soleil radieux.  Un autre cul sec pour redonner du pep à mon petit côté voyeur, histoire de bien repérer comment tout se vit ici.  Et un dernier pour la route, cette route que je vais sillonner pour vous faire partager mon point de vue étonné sur des habitants de tribus qui n’ont pas peur de montrer leurs drôles de couleurs dans ce 21e siècle high-tech. 
Je vais boire juste ce qu’il faut pour ne pas finir sur le dos.  Il y a un avantage à ne plus avoir 25 ans : on est moins débile.

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