28 févr. 2011

Je m’appelle Astrid
Je vais à mon casier postal et je salue une jeune femme qui se tient là tout près.  Difficile de la rater : elle porte un bébé rond comme une pastèque sur sa hanche, un petit bouddha tout en sourire.  C’est une jolie femme :  nez délicat, pommettes hautes, yeux pailletés de bronze.  Elle est cependant maigre comme un clou et ses vêtements ont connu de meilleurs jours.
Je lui dis « Bonjour-quel-beau-bébé » et c’était tout comme si je venais de déclamer « Sésame, ouvre toi! ».  Le doux visage de la maman se tourne vers moi et elle commence à papoter comme si j’étais sa vieille copine.  « Je m’appelle Astrid.  J’adore les enfants.  Je ne pourrais pas vivre sans eux. J’en ai eu cinq mais j’ai perdu la garde de trois d’entre eux… »  Amour et abandon dans une même phrase, dans un même souffle.  Cette confidence spontanée me cloue sur place. 
Je suis coincée comme un curé dans son confessionnal.
« Et qu’est-ce qui  t’emmène dans le coin aujourd’hui? ».  J’attaque avec une question anodine pour faire diversion. 
« Je suis venue vendre du poisson et je reprends le bus pour Pouembout à 13 heures.  C’est mieux de ce côté-ci de la rue, on est à l’ombre. »  Comme si 38 degrés à l’ombre pouvait faire une différence pour la prochaine heure et demi qui lui reste à poireauter avec son petit sous le bras.
Je pousse un soupir intérieur.  « C’est presque sur mon chemin.  Je te raccompagne chez toi? »  Petit mensonge blanc.  C’est plutôt un détour de 20 kilomètres. 
« Ça ne t’embête pas? », me dit-elle et la voilà déjà assise sur la banquette avec son cabas et son bébé.  Direction : Pouembout.  La portière se referme sur le confessionnal.  On roule et elle me défile sa vie de misère.  Trois bébés d’un premier mari dans un bled près de Nouméa.  Elle se fait tabasser comme un chien.  « Il m’a déjà brisé les chevilles pour m’empêcher de sortir de la maison »  Elle est partie pour sauver sa peau en abandonnant ses enfants et trouve refuge ici, dans le nord. Elle repart à zéro dans les bras d’un autre homme.   C’est curieusement comme ça qu’elle imagine pouvoir recouvrer sa liberté.    Le mari no. 2 lui fait deux enfants pour assurer sa descendance.  Un bon jack qui n’a qu’un problème : il est un peu porté sur la bibine.  Celui-là, il ne la bats pas mais il boit.  Dans un cas comme dans l’autre ce n’est guère mieux :  Astrid est découragée.   Qui va combler le vide laissé par ses trois enfants?  Elle serre son bébé contre elle en imaginant la chaleur des autres. 
Je la dépose chez elle, dans son squat près de la route.  Je passe là plusieurs fois par semaine et je n’avais jamais remarqué cette misérable cabane.  J’y suis repassé depuis et c’est comme si elle était disparue à nouveau. 
Je n’ai pas revu Astrid et son gros bébé dodu.  Mais je sais maintenant qu’elle n’est pas la seule à subir la violence.  Une femme sur quatre en est victime en Nouvelle-Calédonie.  Des chiffres effarants avancées par la responsable d’un organisme qui prend en charge les femmes violentées.
Je ferme les yeux et je revois son beau visage lisse, un visage sur lequel les coups ont plu.  Les marques ont disparu mais il reste toujours cette tristesse au fond de son regard.   On l’a battue et la voilà condamnée au combat.  Un combat pour assurer sa survie même si elle doit porter le lourd fardeau d’un chagrin sans fin. 
Le 8 mars approche.  Doit-on souligner la journée de la femme?  Pour Astrid et les autres, je soutiens que c'est essentiel.   C’est un poing brandi vers le ciel pour dire non à la brutalité envers les femmes et leurs enfants.

1 commentaire:

Goala a dit…

oui le 8 mars : journée de la femme et pour "fêter" ça mon mari m'a frappée!!!