23 juil. 2011

La belle entêtée


C’est une histoire qui commence par un coup d’œil échangé dans un bar de Nouméa.  Elle s’appelle Brigitte et lui Armand.  Brigitte tient sa cigarette avec le coude planté sur le zinc et exhale la fumée.  De  grandes volutes  bleue montent, l’enveloppant dans une bulle mystérieuse.  Une kanak avec des airs de Greta Garbo.  Elle a laissé sa robe mission au placard ce soir.  Elle arbore plutôt son look « métro », pantalon noir et chemisier blanc. 

Brigitte attrape le regard d’un bel homme dans le grand miroir au dessus du bar.  Armand, lui aussi kanak, lui offre un verre.  Elle l’ignore, lui jetant à peine un regard.  Il ne se démonte pas, montrant un doigt et jouant du sourcil.  Brigitte se penche vers sa copine et lance à la blague que le type de l’autre côté du bar doit être sourd muet avec son charabia en langue des signes.

Elle est comme ça :  belle et sûre d’elle, passée maître dans l’art de faire monter les enchères.


Il  finit par s’approcher de sa ténébreuse.  La patience d’Armand-le-protestant a finalement eu raison de la fougue de Brigitte-la-catholique.  L’affaire a fini en mariage quelques mois plus tard. 


Adieu la luxuriante côte est et ses fleurs grosses comme des choux.  Au revoir l’ambiance festive de la tribu de Pouébo :  Brigitte a quitté sa famille pour mettre le cap sur la presque mormone tribu de Ouélis non loin de Voh, de l’autre côté de la chaîne. Elle y vit avec son mari et son fils de 6 ans, le bien nommé Abraham.


Pantalon noir et chemisier blanc sont retournés au placard.  Désormais, Brigitte ne quitte plus sa robe mission.  Mais si vous y regardez de plus prêt, vous remarquerez ses ongles d’orteils manucurés au vernis couleur corail.  Les longues heures passées au champ pour récolter l’igname n’ont pas émoussé son désir d’afficher sa féminité.

Sa petite maison croule sous les fleurs. C’est sa façon à elle de clamer son appartenance à l’exubérante côte est.  C’est fleuri même sous les arbres :  il y a des dizaines de pots coincés entre les racines d’un flamboyant qui doit être plusieurs fois centenaire. 

Est-elle heureuse ici?  Brigitte ne fait pas de cachettes :  les règles strictes qui dictent la coutume lui pourrissent un peu la vie.  Elle se surprend à se laisser glisser dans l’indolence lorsqu’elle trime au champ ou à la pêche.  Elle rêve d’avoir un petit snack devant chez elle ou mieux encore,  un boulot à la mine Koniambo.  Mais ça ne se fait pas ici.

Elle aurait assez de culot pour brûler un soutien-gorge pour statuer sur le sérieux de ses demandes… Mais voilà, elle est seule dans le clan des revendicatrices.  Alors que fait Brigitte?  Elle mord dans la vie comme une gamine.  Quand elle a envie de danser, elle danse.  Même au beau milieu des champs.  « Et c’est moi qui porte la culotte! », dit-elle assez fort pour que son cher Armand, qui n’a rien d’un sourd-muet, saisisse bien le message.

Je le vois hocher la tête en s’éloignant.  Décidément, il ne s’ennuiera jamais avec sa Greta.

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