21 août 2013

Mes étés

Il y a eu l’été de mes 7 ans, celui où j’ai vu mon grand-père en bédaine besogner en pleine canicule pour bâtir notre maison avec mon père.  Ce n’était plus une jeunesse mais il pouvait encore enfoncer un clou en moins de 3 coups.  Han-han!

C’était l’été de la liberté.  Fini le village et ses trottoirs qui étouffaient les pissenlits entre les craques.  Je déménageais en « banlieue » avec en prime, la lisière d’un petit bois.  Nous n’avions pas de piscine alors c’est là que j’allais me réfugier prendre un bain de fraîcheur.

Il y a aussi eu l’été des Olympiques de Montréal. Je traînais devant la télé mon envie de devenir une athlète de haut niveau.  Je simulais dans la pelouse  les sauts en hauteur du canadien Greg Joy.  Je saluais la foule en cambrant les reins comme Nadia Comaneci.  Je chantais « je t’aime, yes I love you » en baragouinant la suite dans une cacophonie de syllabes gutturales.

L’été du premier amour.  Son regard a éveillé des papillons voletant entre la tête et le bedon.  Tous les étés suivant n’ont jamais effacé le souvenir sublime de son baiser, un échange chaleur/fraîcheur bien dosé, ferme et pas trop moite.  Et sa main brûlante sur ma peau.

Quelques étés plus sombres: celui du premier chagrin amoureux.  Comme une déchirure au ventre.  L’été de ma fausse-couche, quelques années plus tard, aura le même effet de brique au visage.

1996: l’été des premières fraises cueillies par mon fils.  Sa bouche gourmande, ses bisous odorants, ses petits doigts maladroits tirant sur les fruits.  Le jus rouge sur le bout de son menton.

Quelle belle saison pour les traditions!  Elles déferlent comme les vagues de Cape May, tonitruantes et trop brèves, excitantes :  les vacances à la mer en famille, les ventes de garage, le pique-nique aux moustiques dans les cascades au Parc de la Mauricie, les garden parties bien arrosés, les feux de joie au camping du mont Ham-sud, les histoires de grenouilles et de couleuvres, le jogging dans la rosée du matin.

Il y a trois ans, nous avons vécu l’ultime été, celui de nos au revoir avant le départ pour la Nouvelle-Calédonie.  La veille de notre long vol, nous avons marché dans notre maison vide et jeté un coup d’œil sur nos dix valises.  C’était donc ça le lâcher-prise?  Quelle vertigineuse sensation…

Puis, nos étés se sont effacés au profit d’un climat tempéré.  Toujours beau, toujours chaud.  Quelques petits matins frisquets pour nos pauvres corps si rapidement tropicalisés.


Vous comprendrez l’émerveillement que je ressens en renouant avec la belle saison.   C’est un été généreux parce que je retrouve ma santé.  Après un hiver où je me suis sentie comme une prisonnière en Sibérie, la tête pelée, hébétée par la chimio, sonnée à cause de cette impression d'être soumise à une attaque au napalm dans mon corps, me voilà gorgée de rayons de soleil. 

J’ai planté des fines herbes en pot pour donner l’odeur de l’été à tous mes plats.  Trinqué au dessus d’une montagne de homards en mai.  J’ai volontairement régressé en trahissant un plaisir coupable, la poutine…Repris deux fois de la pouding aux bleuets bio chez mon amie Sophie.  Je suis allée manger mes émotions en faisant craquer le chocolat noir sur une crème molle.  Pris des déjeunes sur le pouce en ingurgitant des smoothies fait maison sur le chemin du travail. 

Parce que oui, cet été, j’ai repris le travail.  Le BONHEUR!  Un micro, des complices, l’étincelle qui jaillit parfois au fil d’une entrevue bien torchée.  Bien sûr, je me suis retrouvée avec des mots coincés dans la bouche de temps en temps mais tout ça finissait par un grand éclat de rire et on recommence, voilà tout! 


Définitivement, je n’oublierai jamais l’été 2013.  L’été où je me sens renaître dans mon corps de quinquagénaire.  Toujours aussi avide des plaisirs glanés, des souvenirs un peu fanés.  Bousculée par la vie mais heureuse d’être là pour vous en parler.

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