21 juin 2011

Prédire l’avenir, selon le prophète Momo

photo Sonia
Monsieur Momo est arrivé à l’improviste chez moi sous la forme d’un petit tract jaune.  « Momo est un voyant médium sérieux, très connu pour son efficacité et sa rapidité ».  La publicité retrouvée au fond de ma boîte aux lettres  a piqué ma curiosité.  Je n’ai fait ni une ni deux et j’ai pris rendez-vous avec le grand spécialiste.  

Monsieur Momo habite Nouméa, non loin du rond-point Patch.  Il est descendu jusqu’à la station-service pour venir nous cueillir pour notre rendez-vous.  Je n’étais pas seule :  Soso, elle aussi de Nouméa, m’accompagnait.

Pas de poignées de mains sur le trottoir…Juste un vague signe pour s’identifier.  De toutes façons, difficile de le louper : il portait une chatoyante djellaba orange soleil sur un pantalon couleur d'or.  Du bien beau linge.  Il marchait lentement à une dizaine de mètres devant nous, sans doute déjà en transe pour s’imprégner de nos auras afin de faire une fine lecture de nos âmes.   Rassurant.

On a pénétré dans un immeuble pour emprunter l’escalier intérieur jusqu’au second étage.  Monsieur Momo a désigné une chaise et fourré une télécommande dans les mains de celle qui aurait à patienter pendant la consultation de l’autre.  Je ne voyais pas d’inconvénients à être la deuxième puisqu’il y avait une excellente émission sur M6 que  je ne voulais pas rater.

Mon tour est venu alors que j’étais rivée au petit écran, prête à enchaîner avec la deuxième transformation de maison dans ce show de décoration.  Il faut dire que j’avais un peu peur de ce que Momo allait me déballer.  On ne s’imagine jamais qu’il nous révélera qu’on va toucher la cagnotte au loto 6-49, ni qu’on fera une carrière littéraire digne de la star Marthe Gagnon-Thibodeau. 

photo Sonia
Monsieur Momo est attablé devant moi, très bel homme aux yeux rieurs.  Je le soupçonne de se marrer un peu, surtout lorsque j’ai remarqué les nombreux billets de 5 000 francs qu’il avait laissés traîner nonchalamment probablement pour m’indiquer qu’il s’agissait là de son taux horaire pour 20 minutes de consultation.

« Vous avez un problème?  Quel est votre problème? « , me demande-t-il tout en égrenant les perles de bois de son collier.

« Je n’ai pas de problème, je suis ici pour….pour….savoir comment ça va »  ai-je cru bon répondre en gardant pour moi ma folle ambition de devenir millionnaire.

Il me prend la main gauche, la pose sur une feuille blanche et trace le contour.  Puis, il fait des petits traits, comme s’il dessinait de la pluie tout autour de ma menotte au contour rebondi.  Alors qu’il se plonge dans le complexe algorithme de mon âme, mon regard papillonne.  D’étranges figures géométriques en noir et blanc dessinées sur de grandes feuilles tapissent le mur.  Puis, mon œil s’accroche sur la réclame collée juste au dessus de sa tête:  « Monsieur Momo, très compétent, confiez-vous à lui, voyant médium SÉRIEU »  Vraiment?  J’ajouterais cependant « DOUTEU ».

Il m’a d’abord mitraillée de questions.  Nom, prénom, profession, état matrimonial, lieu de naissance.  Eh, Colombo?  Tu n’avais pas tout lu ça sur mes pattes d’oies?  Bon.  Je me calme et je le laisse reprendre sa lecture.  Il lui faut une photo de Chéri et moi. Je finis par en défriper sur son plan de travail.  Il la glisse sous le décalque de ma main et se met à gratter tout en fixant un point imaginaire au dessus de mon épaule.  Enfin, je retrouve mon médium SÉRIEU et rassurant.  Il va tout me déballer.  Je suis prête.

« Ton mari, je le vois avec une autre femme.  Il y a une femme qui va tomber en amour avec ton mari.  Mais, il t’aime et il va rester avec toi »

Une pétasse qui veut se maquer avec mon Jules?  Oh la la, heureusement que je suis ici pour monter la garde et ajuster mes talons hauts pour bondir sur les futures prétendantes de Chéri.  Et pourquoi ce n’est pas moi qui a des admirateurs pendus à mes jupes broussardes? 

« Et toi, tu est envoûtée.  Je vois un envoûtement et tu l’as depuis ta naissance », me révèle-t-il avec gravité.  Puisque je suis de nature optimiste, j’entends par là que je suis « envoûtante » et je lui dis :  « envoûtée, c’est bon, n’est-ce pas? »

« Oh, non!  Il faut tuer le mouton pour chasser l’envoûtement »

Un mouton.  Rien que ça.  Et il fallait que je vive à Koné, là où je peine à me trouver ne serait-ce qu’un pied de céleri  pour me voir ainsi contrainte à dégoter un mouton.

« Mais je ne peux pas faire..disons…un gigot pour chasser l’envoûtement? », je lui demande avec le plus grand sérieux. 

« Non.  Mais je connais quelqu’un près de Tontouta qui peut le faire pour toi.  Sinon, moi je peux le faire.  Il faut que tu poses ta main sur le mouton avant le sacrifice » explique-t-il patiemment à l’inculte que je suis.

« Ben, je vais y penser »   J’ai l’impression de répondre à une vendeuse dans une boutique qui attend que je me décide pour acheter une petite robe à pois.

« N’oublie pas de tuer le mouton.  C’est important », me rappelle-t-il quand je lui fais un chèque.

Monsieur Momo voudrait bien me faire des révélations plus croustillantes mais je sens que nous avons déjà atteint le fond du baril de son insondable pouvoir.  Les millions dont je rêve ne vont pas apparaître d’un chapeau de magicien.  Quel dommage.  Je vais devoir me dépatouiller avec un envoûtement jusqu’à je trouve un moyen de trucider un mouton.  Et ça, c’est la vie.


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