19 oct. 2011

Anne Marie Lecomte en cadeau

J’ai des chroniqueurs chouchous :  leurs écrits me procurent des moments de bonheur.  Je plonge dans la lecture de leurs articles avec délectation, comme dans un bain chaud.  Je ris de leurs bons mots, de la tournure des phrases, de la logique de l’argumentation et de la justesse de leur chute.  Foglia, Petrowski, Josée Blanchette.  Du bonbon.  Mais celle qui me touche le plus, c’est Anne Marie Lecomte.  Je n’étais pas abonnée à Chatelaine, j’étais abonnée à sa chronique « Sainte Famille! ».  Mois après mois, je suivais les péripéties d’Anne Marie dans son quotidien tissé de mille et un petits riens touchants.  Je jalousais secrètement son style ingénu et désopilant.  Je lui ai sans doute piqué deux ou trois jolis mots.  Mais ce que j’aimais plus que tout, c’était son sens de l’auto-dérision.   Elle, la mère-forteresse prête à tout pour ses petits, avouait bien humblement ses failles.    À mon départ pour la Nouvelle-Calédonie, j’ai rangé mes vieux « Chatelaine » et coupé les liens bien malgré moi avec ma préférée.
photo Louise Godbout-Relais de Poingam

Puis un jour,  j’ai appris que son fils aîné s’était suicidé.  Et ce jour là, j’ai eu envie de pleurer.  J’ai ravalé mon chagrin parce que je me trouvais en promenade avec des copines.  Nous allions à la tribu de Tiaoué et nous étions toutes aux coudes à coudes dans un Kia, cramponnées à chacun des nids de poule que nous franchissions, à se faire secouer. Ma bonne humeur s’est envolée d’un seul coup.  Je ne voulais pas pleurer devant mes nouvelles amies.  Peur de me montrer fragile.  Peur de dévoiler mes craintes les plus obscures.  Et si c’était mon fils?

Il y a un peu plus d’un an, nous avons arraché Lulu à sa vie, à sa gang de secondaire IV au P.E.I., à sa première blonde.  Mon beau Lulu a perdu son sourire à fossettes.  Sur le fond d’écran de son ordinateur, il avait mis un paysage idyllique d’une plage du Pacifique et avait écrit par-dessus :  FUCK LA CALÉDONIE.  C’est le seul cri qu’il a poussé.  Il s’est ensuite refermé comme une huître. 

Pendant ce temps, la cadette râlait ferme.  Nous étions des parents nuls et sans cœur.  C’était comme une tempête :  j’étais debout au milieu de ma petite barque en train de me faire fouetter par les vagues et je lui répétais :  « non, non, tu ne vas pas couler… »   Même si Clopinette me soûlait avec sa révolte, au moins elle se vidait le cœur.  Je pouvais cueillir les morceaux.  Mais avec Lulu, rien.

Le drame d’Anne Marie Lecomte m’a replongée dans ce malaise diffus, cette impression d’avoir les mains liées, attachés dans le dos.  Incapable de prévoir l’imprévisible.  Lulu avait peut-être retrouvé son sourire à fossettes mais il y manquait toujours un peu de lumière.  Comme par hasard, je l’ai surpris les jours suivants en train de feuilleter l’album photos de ses amis du Québec.  Inquiète, je lui ai écrit une lettre que j’ai posté sur mon blog le 11 avril dernier  (Lettre à mon aîné).  En fait, j’ai écouté le conseil d’Anne Marie qui disait « regardez les chaque jour avec attention et bienveillance ».

Je scrute.  Je garde tous mes sens en éveil.  Mais même le faucon le plus puissant peut laisser filer une souris.  Une souris qui part sans faire de bruit. 

Comme parent, on n'arrête pas de grandir, même quand nos enfants s'apprêtent à partir.  Fin 2012, mon aîné devrait quitter le nid pour aller faire sa vie au Québec alors que nous poursuivrons notre aventure ici.  Les étreintes de mon beau grand Lulu me font plaisir.  C'est sa façon de me dire qu'il va bien.   Lui qui parle si peu, lui qui, comme sa mère, préfère cacher son chagrin pour ne pas tourmenter les autres, s’apprête à faire le grand saut et à devenir un adulte.  Je vais le regarder…le regarder partir.  Ouf!  j'ai le vertige!  Comment vais-je calmer mes angoisses passagères?  En les partageant, tout simplement.  Comme Anne Marie Lecomte l’a fait. 

Elle est d’ailleurs de retour.  C’est une amie qui m’a offert Anne Marie Lecomte en cadeau d’anniversaire.  Elle m’a tendue le Chatelaine de septembre 2011 en me disant :  « voilà, je sais que tu t’ennuyais de ta préférée… »  Ah, cette Dominique!  Elle m’avait bien observée…

Je suis heureuse de retrouver ma chouchou.  Je me suis plongée dans la lecture de sa chronique en suçotant le bout d’un ongle, encore un peu jalouse de ses si jolis mots.

Bon retour, Anne Marie.

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