12 nov. 2012

La chasse aux crottes

On m’a dit :  «Vous avez un début de cancer ».  Wham Bam!  Même pas peur.  Je sors la cape et j’affronte.  Passez moi le protocole des soins et on va faire ça comme s’il s’agissait d’une recette de gâteau duncan hines.  Oeufs/huile/eau, un coup de mixer et voilà, l’affaire est ketchup.

Le gynécologue de la Baie des Citrons à Nouméa a mimé l’incision sur son propre torse et sous l’aisselle côté cancer pour me montrer que là aussi, l’affaire était ketchup.  Il ne s’agit pas d’une opération à cœur ouvert, ce n’est qu’une tumorectomie.  Ma chirurgienne à Trois-Rivières, plus pragmatique, m’a fait un dessin :  trois coups de crayon et j’avais tout compris.

On sait comment se débarrasser d’un cancer mais on ne sait pourquoi on se retrouve un jour avec cette bébitte-là.  Il me vient en tête une phrase célèbre d’un certain Caliméro :  « Alors là, c’est vraiment trop injuste! »  Pour ceux qui ne sont pas de la génération Bobino et Caliméro, voici la référence :



Quand on a le cancer, on farfouille dans son passé à la recherche du bogue.  C’est la chasse aux crottes.  J’ai passé en revue les moins bons souvenirs de mon enfance.  Il n’y en n’a vraiment pas tant que ça.  En fait, je suis tombée sur des moments magiques de bonheur.   Mais ce n’étais pas là ma quête.   J’ai parcouru les chemins foisonnants de la mémoire, espérant tomber sur une anecdote enfouie, une vieille douleur perdue, un traumatisme obscur.  Ça m’a presque donné envie d’écrire mon autobiographie.  Ma vie est tellement 1970. 

Il y a des bribes de mon enfance qui expliquent un peu ceci, un peu cela.  L’hiver où ma mère a décrété qu’on vivait dans le sous-sol de notre bungalow pour sauver sur la facture d’électricité.   C’était rigolo mais quand même un peu gênant.  Mes après-midi de grande solitude où je jouais au curé :  je récitais la messe avec des hosties en pain blanc découpés avec un bouchon de bière.  Mon amour secret pour Jacquot, le fils du notaire, qui m’a affublée du surnom Chandail Cardigan devant tous mes camarades de classe (aujourd’hui devenu mon adresse courriel, chandailcardigan@hotmail.ca).  La découverte de l’émission Parlons Sexe sur mon radio transistor avec Huguette Proulx quand j’avais 8 ans et mon étrange tourment face aux « choses sales ».  Ma peur des motards, les Popeyes, déboulant au village en pleine nuit, un défilé plus angoissant que le train du CN qui faisait trembler les murs de notre haut de duplex. La punition (bien) méritée pour avoir fumé en cachette à 5 ans parce que je voulais jouer au cow boy.  L’été où j’ai failli me noyer avec ma cousine au camping du Lac au Bouleau à St-Félix-de-Kingsey.  L’autre où elle m’a plongé la tête sous l’eau un peu trop longtemps juste pour jouer (cette fois là, j’ai vraiment cru que j’allais mourir).  La salle de réveil à l’hôpital de Nicolet après l’ablation d’un de mes reins quand j’avais 3 ans.  Les pleurs de ma mère lorsqu’elle a fait une fausse couche.  Mon étrange gardienne qui m’a éveillée aux charmes d’Elvis Presley alors que je n’avais que 6 ans. J'aimais le King mais je la trouvais louche. Le décès de mon cousin Claude fauché par un chauffard alors qu’il allait s’acheter de la gomme balloune.  Mon premier slow dansé avec Christian plutôt qu’avec Carl.  C’était Carl que je désirais pourtant.  Mes attaques de boulimie.  Ma première peine d’amour, un certain Mario qui conduisait un Duster,  et ces mots qui résonnent encore :  je ne t’aime plus, des mots comme des vilains crachats tombés au bout de mes souliers.  Mes nuits blanches parce que je n’arrivais pas à digérer les longues colonnes de vocabulaire en latin.  L’adolescence et ma peur viscérale d’être grosse.  L’amitié tordue d’un prof du secondaire qui voulait faire de moi sa lolita (j’avais 17 ans et des antennes assez sensibles pour capter l’arnaque.  Je n’ai toujours pas pardonné).  Ma première gueule de bois à 16 ans.  Les départs déchirants.  L’éveil brutal au racisme pendant une année passée en Caroline du Nord.  Le chien que je n’ai jamais eu et toujours désiré.  Les chicanes de Barbie avec ma sœur. 

Est-ce que tout ça finit par donner le cancer? 

Je ne crois pas mais je n’ai pas pris de chance et j’ai fait mes devoirs :  trois thérapies chez le psy, des boîtes de mouchoirs bien imbibés de larmes et….l’affaire est ketchup.

Que nenni!   On ne s’assoit pas comme ça sur le bonheur en disant GOTCHA!  J’ai connu des années de sprint intense et de grande félicité à la puissance 10.   Un mari et trois enfants plus tard, je me rends compte que je dois encore et encore sarcler patiemment pour ne pas trop m’encombrer l’existence avec un fouillis d’herbes folles, une plate-bande où les fleurs rares et les herbes odorantes se partagent un rayon de soleil avec le chiendent.   Le cancer, c’est le bouton RESET.  

Je remets les pendules à l’heure. 

Je n’ai pas peur de mourir.  J’ai peur de ne pas bien vivre, tout simplement.

1 commentaire:

Line Tousignant a dit…

Ouais! je crois que tu as vraiment le sens de la vie et le bonheur facile!
Il ne faut pas donner de l'importance à la maladie... C'est bien de peser sur "Reset" et de te forger d'autres beaux souvenirs...
Lâche pas et laisse la VIE t'emporter!

Line xx