15 nov. 2012

Le voyage organisé

La chirurgie d’un jour porte bien son nom :  une petite journée top chrono pour en finir avec la maladie.  J’arrive à 7 heures du matin avec ma mère à mes côtés.  Invariablement, on lève un regard en disant : « votre mère vous accompagne? »  Il faut savoir que ma mère est moi, on se ressemble comme une paire de fesses.  Difficile de cacher ma filiation. 
Je suis contente d’être avec ma belle Irène.  On fait un duo choc dans toutes les files qui nous mèneront jusqu’à la civière du camp des réfugiés d’un jour.  En attendant de s’inscrire au bureau des éclopés, un vieux monsieur derrière nous mitraille des salves de blagues sans même reprendre son souffle.  Ça doit être le cousin de Ti-Gus et Ti-Mousse; il est intarissable.  Les blondes, les noirs, les calembours…Je suis sûre qu’il collabore à la chronique Rions un peu du Reader’s Digest.  Mais dans son cas, il faudrait plutôt appeler ça le Reader’s Indigeste.  Bon, vous êtes bien gentil monsieur, mais moi j’ai un cancer dont il faut que je me débarrasse.  Je vous laisse.
Eh! que je ne suis pas fine.  J’avais pourtant médité le matin – inspire/expire- brûlant mes poumons pour faire entrer en moi la sagesse infinie.  Je vais avoir besoin de séances plus fructueuses pour répandre la bonté universelle.
La bonté universelle, c’est en l'occurence le fond de commerce du personnel de l’hôpital.  Il doit y avoir un vestiaire où les employés laisse leur mauvaise humeur en entrant.  Un mince rayon de soleil filtre dans la salle où l’équipe médicale va et vient entre les civières.  Cataractes, problèmes rénaux, cancer du sein :  tous les patients sont équitablement couvés.  Un petit mot, un regard encourageant, une bonne oreille et une petite pilule.  Un bruit ambiant rassurant, plein de vie.
La chirurgie d’un jour est un voyage comme un autre et mérite une note comme n’importe quelle destination.  Partons du principe que la Nouvelle-Zélande décroche une note plus-que-parfaite, 12/10.  Le pays des Malades ne s’en tire pas trop mal avec un très honorable 8/10.
LES PLUS : 
La disponibilité des calmants.  « Voulez-vous un comprimé XYZ pour vous relaxer? » Ah!  Ça c’est de l’hospitalité.  J’achète.
La couverture qui sort d’un four juste avant d’aller en salle d’op’.  Quelle douce impression d’être une patate sur laquelle on fait fondre du beurre.  Wow, encore!
Le service d’escorte vers les différents départements de l’hôpital.  Le préposé est tellement attentionné qu’il a réussi à me faire oublier ma jaquette bleue battant à tous vents.  En prime, on se fait dire qu’on est belle…Dois-je vous rappeler qu’on joue ici la reprise de la journée nationale sans maquillage?
Les infirmiers, les infirmières, les stagiaires.  Traitez moi de téteuse, je les adore.
Dr. Chirurgienne :  une fée.

LES MOINS :
Définitivement au top du palmarès, l’injection de produits radioactifs.  J’ai pris trois avions pour bénéficier de la médecine nucléaire, malheureusement indisponible en Calédonie.  J’aurais pris trois autres avions pour me sauver si j’avais su que ça faisait aussi mal.  Mais, je suis une tough.  J’ai légèrement crochi les bords de ma civière et versé quelques larmes.  Désolée de vous avouez ceci Dr. Chirurgienne, mais j’ai cru un instant que j’étais un vampire dans Twilight et que j’allais vous mordre :/


Le régime minceur.  Pas moyen de casser la croûte, il faut être à jeun depuis la veille.  Je découvre soudain que la grève de la faim ne sera pas un recours s’il me prend l’envie de défendre une cause. Avis au gentil personnel infirmier:  je vous rappelle aussi qu’un bol de glace ne compte pas pour un repas. 
L’empressement de Dr. Anesthésiste qui veut savoir pourquoi je n’ai pas de carte d’assurance maladie.  Nous sommes dans la salle d’opération, je porte un casque de bain bleu, moi la patate toute nue sous la doudou chaude, à 5 minutes de mon opération….Euh?  J’ai peut-être l’air d’une sans-abris mais j’ai une assurance privée et OUI, je vais régler la facture. MERCI de m’endormir malgré cette vague inquiétude sur ma solvabilité.  J’apprécie votre professionnalisme.
Les pantoufles bleues qui hurlent "JE SUIS PATHÉTIQUE!".  Elles sont assorties à l’horrible jaquette taillée sur mesure pour les exhibitionnistes. J'aurais préféré quelque chose de plus seyant, un beau pyjama avec des bonhommes sourire et des pantoufles à talons hauts.  Frivole mais tellement plus chic'n'swell.  Si vous trouvez ça dans la boîte à suggestion, ne cherchez pas, c'est bien rédigé de ma blanche main.
******
Je suis revenue de l'hôpital et devinez quoi? J'ai laissé mon cancer dans le fond d'une petite poubelle :):) Il criait "Ne me laisse pas là!" mais moi je lui ai dit: "Aie, ça va faire!   Je t'ai chopé en Calédonie, je t'ai même emmené en voyage en Australie et je suis allée jusqu’à te faire danser la Zumba sur la place des Cocotiers. Pousse mais pousse égale et DÉ-BA-RASSE mon petit criss!" 


Le croirez-vous, en lui disant ça, le cancer a poussé son dernier soupir.  Il est mort, le sacrament! Hourra!
Vous l'aurez sans doute deviné, ils m'ont droguée un tout petit peu à l'hôpital.  J’ai dit  "double dose" quand on a mentionné la morphine.   Je me sens vraiment bien.  Vrrrrraiment. :):)
Aujourd’hui, je n'ai plus mal et je pense que je n'ai pas une grosse cicatrice sous mes pansements. En fait, ça devrait me faire comme un minuscule sourire sur le bord du sein.
N'oubliez pas, même Wonder Woman doit surveiller ses seins. 






3 commentaires:

Line Tousignant a dit…

Ah! ah! ah! tellement savoureux, Chantale!
Il est vrai qu'il ne faut pas lui accorder trop d'importance et, le traiter comme tu le fais, le fera sentir bien minable...
Les jours meilleurs sont à venir!

canoski a dit…

La vie et les personnes autour de nous sont notre carburant chaque jour pour maintenir un équilibre essentiel et harmonieux de soi. On vous garde avec nous, la Mauricie.

Julie a dit…

Votre histoire, racontée à votre façon, est incroyable, mais triste. Le dénouement actuel, soit la tuerie de votre cancer, est excellent !!

Lorsque ma mère s'est réveillée de son coma il y a 5 ans, elle m'a dit (après avoir repris ses esprits) :
Julie, les "roughs" sont les personnes ayant la plus grande force mentale, ceux qui s'en sortent et qui réussissent à passer à travers... tout se passe entre les 2 oreilles.
Bravo pour votre entêtement, c'est ce qui vous sauve !
Vous avez mon respect !