30 déc. 2012

Ma prière à la messe de minuit à huit heures

« Dépêchez-vous, l’église est ben pleine pour la messe de huit heures! ».  Ma mère fait la circulation pour toute la famille et distribue les bottes, les foulards, rallongent une jupe trop courte en tirant dessus tout en enfilant son propre manteau.  Il est sept heures et vingt et j’imagine la file à la porte de l’église…On va être assis sur le perron si on traîne de la patte comme ça.


Arrivés sur place, l’église est vide comme une allée de quille.  Il y a bien quelques vieux pécheurs qui rongent les balustres mais c’est tout.  Des enfants déguisés en berger répètent leur marche solennelle.  Le plus petits des trois, sérieux comme un pape, a perdu ses grosses dents d’en avant.  Pendant ce temps, le bedeau court d’un cierge à un autre comme s’il avait une envie pressante.  Mes enfants et leurs cousins se précipitent au deuxième étage de notre belle église.  C’est l’équivalent de la loge de luxe pour le Canadien.  De là, ils saisiront les moindres faits et gestes de l’assemblée et pourront se délecter de fous rires.  Ma mère est déjà partie côté sacristie. J’opte pour le troisième banc sur le plancher des vaches avec les deux hommes de ma vie, mon père et mon mari. Je surprends mon aîné en train de hocher la main à un parterre imaginaire de fidèles comme s’il était Benoît XVI.  Cet enfant n'en rate pas une.

Sur le mur, la vieille horloge indique sept heures trente-cinq.  C’est l’horloge la plus lente que je connaisse.  La trotteuse a l’air de ramper.  Deux secondes en avant,  trois en arrière.

Toute petite, je me distrayais en regardant attentivement les tableaux de saints aux yeux tourmentés, eux les misérables témoins des sévices subis par Jésus.  Je passais aussi au rayon X les ouailles endimanchés, leur inventant des vies farfelues.  J’avais une prédilection pour les religieuses.  Elles arrivaient par une porte que personne d’autre qu’elles n’empruntaient, celle du côté du couvent.  Elles auraient pu venir prier en pantoufles, l’église était comme leur salon.  Honni soit la tentation du confort du linge mou! Même si elles enfilaient les offices avec autant de fidélité que les fanas de la pièce Broue, elles étaient toujours sur leur 36, amidonnées comme des candidates sur des pancartes électorales. 

En les observant penchées sur leur missel, je me suis longtemps demandée s’il leur arrivait de prier pour elles-mêmes?  Ce n’est pourtant pas dans leur définition de tâches.  Les ouvrières arrivent au prie-dieu avec une longue liste de doléances, les malades, les quéteux, les orgueilleux, sans oublier les conflits dans le monde.  Il y a beaucoup trop à faire.

C’est du boulot, la messe.  Parmi elles, j’essayais de choisir qui était l’employée du mois de cette grandiose succursale des supplications à la chaîne.  Était-ce celle qui avait les yeux fermés dur, les mains jointes dans du ciment et la nuque ployant sous la demande des fidèles trop paresseux ou maladroits pour formuler leurs propres incantations?  Je ne voyais pas l’intérêt de leur soumettre ma demande spéciale.  Durant ce long désert qu’était la messe, je trouvais toujours une petite minute pour faire du tchat spirituel avec Jésus.  Ce bébé dodu tout en bouclettes portés dans les bras de St-Joseph n’a pourtant jamais fait de miracles pour moi.  Je ne sais même pas pourquoi, 40 ans plus tard, je suis assise dans la même église en train de regarder trotter la trotteuse.  Une chose est sûre :  je me sens bien ici. 

Les bancs se colorent et l'église se réchauffent.  Je me demande comment les enfants vont tenir pendant la prochaine heure.  C’est Noël, autant dire que ça leur procure le même effet qu’un Red Bull.  Le curé, une grande gueule qui a la langue bien pendue, joue comme un virtuose avec les  "punch line".  Il y a malgré tout un joli message dans son numéro de stand up comic.  Je l’entends me dire :  tout ce que tu désires au plus profond de toi-même, tu peux l’avoir.  Ça ne dépend que de toi.

Tellement d’accord avec vous, coach Curé.

Quand je reviens dans cette belle grande église où j’ai été baptisée, où j’ai fait ma première communion, où je me suis mariée, où j’ai fait baptisée mon aîné, je puise ma vigueur dans ce puissant cycle qui fait de moi ce que je suis :  une femme forte.

Amen.

2 commentaires:

marge a dit…

Je te souhaite de tout coeur de retrouver vite la santé !
J'avais délaissé ton blog, le temps de mon installation à Nouméa...et çà m'a fait vraiment cric en te lisant...mais je vois que tu t'es battue contre ce vilain crabe, j'espère qu'il sera vite KO.
Reviendras-tu à Nouméa ?
Grosses bises, bon courage !

Françoise
PS: tu es superbe avec les perruques !

Unknown a dit…

Bravo pour ton courage,ton humour,ton talent et ta volonté. J'adore te lire.... Pierre Aubé