4 sept. 2013

Certaines vies se tricotent, d'autres s'effilochent.

Au fil des promenades, je note les petits bouts de vie de mes voisins.  A deux maisons de chez moi, les fleurs sur le parterre velouté vert ne sont pas encore fanées.   Pas un brin d’herbe qui retrousse, zéro cra-cra sur l’asphalte noire foncée de l’entrée, pas de traînasse ni de ti-bout de boyau d’arrosage échappé d’un buisson.  S’il y avait des nains de jardin, ils seraient au garde-à-vous.  Cette voisine-là aime forcément le jardinage…

Et l’autre 100 mètres plus loin…ouf, pas de médaille pour le concours des parterres fleuris mais une mention « pur bonheur » avec la poussette garée dans le driveway.  Je décode ici que les enfants dictent une série de priorités et pomponner les talus de fleurs est loin d'en faire partie dans cette famille.

Il y a aussi ce marcheur qui passe dix, vingt, trente fois sur mon bout de rue.  Un grand homme au dos vaguement voûté que l’on devine torturé par la maladie mentale.  Il se soigne en avalant les kilomètres d’un pas fébrile.  J’ai croisé une fois ou deux son regard étrange, braqué sur le film de ses propres pensées.  Brrrrr.

Sur la rue de la Pinède, un vieux monsieur qui s’esquinte en poussant sur sa tondeuse.  Pantalon?  Trop grand.  Ceinture?  Élimée.  Sûrement un veuf.  En passant devant chez-lui, il me devance sur le bonjour et pointe mon chien :   "Vous aimé ça vous faire voir avec votre chien?", m’a-t-il demandé.  J’ai du lui faire répéter parce que je n’avais pas trop bien compris…Me faire voir?  Ah bon, peut-être, je n’y avais pas pensé.  "Il a fait ses petits cacas?" Je regarde le sac dans ma main, de plus en plus confuse.  Cette conversation semble tout droit sortie de la pièce Les Voisins de Claude Meunier et Louis Saïa. 

Et il y a le coin de rue de la famille heureuse.  Papa, maman, trois enfants.  La voie publique est devenue un terrain de jeu.  La plus jeune s’étend comme une crêpe, insouciante du trafic.  Pas grand danger, il passe un char au demi-heure…La corde à danser est attachée au poteau du basket qui remplace un bras lorsqu’il manque de monde pour faire tourner la corde.  J’aime les cris surexcités qui s’échappent de la maison.  Je devine le papa et/ou la maman en faux zombie attrapant aveuglément le premier rejeton pour lui donner des becs de bédaine.

Mes voisins sont comme ils sont :  esseulés, vigoureux, perfectionnistes, débordés mais rarement sans histoire.

Quelques-uns, plus rares, vivent des drames lancinants qui s’écrivent avec des ellipses.  C’est du moins ce que je constate au détour d’un jogging alors que je croise un monument.  Le monument de Cédrika…Je m’arrête et pose ma main sur la pierre froide.  Rappel sur un été angoissant, l’été où nous avons tous serré nos enfants dans nos bras avec les yeux dans l’eau et la tête remplie d’horreur.  Quelques rosiers laissent échapper une fleur.  Je ne sais pas pourquoi mais j’imagine plutôt des larmes rouge sang.  Ce monument nu, face à la rivière St-Maurice, m’attriste profondément.  Sous ce granit, le courage d’une famille mais aussi l’oubli de tout un quartier.  C’est choquant. 
Si vous passez devant la plaque commémorant le triste jour de la disparition de Cédrika, vous verrez des chrysanthèmes.  C’est moi qui les a mis là.  Partout je vois les signes de la vie qui défile alors qu’ici, tout autour de ce beau monument, c’est l’amnésie. 


Avec ce simple pot de fleurs glissé contre la mortaise, je veux simplement dire que cette vie-là non plus nous ne l’oublierons pas.


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