14 oct. 2011

Mère Courage






Il suffit de dire "Nouvelle-Calédonie pour que naissent à votre esprit des images de paradis:  le Pacifique et son lagon turquoise, le soleil à longueur d'année, le climat tempéré.  "La vie pourrait être pire!", nous dit-on parfois pour nous rappeler notre chance.


Ici comme partout ailleurs, la vie devient effectivement pire quand on a le cancer.  Le camaïeu de bleus et les chauds rayons qui filtrent entre les rideaux ne peuvent pas estomper l’implacable tournure du destin lorsqu’on apprend qu’on est atteint de ce mal.   

La société canadienne du cancer a dénombré 23 400 cas au cours de la dernière année dans tout le pays, d’un océan à l’autre.  Le choc est peut-être parvenu jusqu’à vous au cours des derniers mois:  c’était votre mère, votre sœur, votre tante.  Pour ma part, il s’agissait de ma voisine établie depuis peu en Nouvelle-Calédonie.

Geneviève émerge d’une longue bataille.  Il y un an et demi, elle déposait ses valises dans sa villa avec son mari et ses quatre enfants sans se douter que l’aventure en Nouvelle-Calédonie lui réservait une sombre surprise.  Elle coulait des jours heureux.  Les trois plus vieux à l’école, le petit-dernier encore avec elle.  Geneviève n’a pas une once de mère indigne en elle.  Elle est tellement heureuse d’être ainsi comblée par  une si belle famille!  Vous ne serez pas étonné si je vous dis qu’elle allaitait encore son « bébé » de deux ans. 

Un jour, elle va chez le médecin avec lui pour faire vérifier ses oreilles.  Elle soupçonne une otite.  Elle en a déjà vu d’autres!  Elle en profite pour dire au médecin que ses seins lui font mal.  Probablement une mastite. 

« Mastite?  Nous allons plutôt faire une mammographie », lui dit le docteur.

C’est à partir de ce moment que les résultats ont déboulé :  cancer inflammatoire, une forme rare qui vous surprend telle une gifle envoyée d’on ne sait où.  Une vie chamboulée.  Comment peut-il en être autrement lorsqu’on se réveille un matin avec deux seins en moins et la peur au ventre?

Et pourtant, Geneviève se lance tête baissée dans cette bataille.  Loin de sa famille, elle rassemble toutes ses forces pour écrire un long courriel destinés à tous ses proches.  Même malade, elle se fait rassurante.
« Je n'ai jamais voulu m'identifier au clan des cancéreux; comme si en me faisant coller cette étiquette, cet état s'installerait pour de bon et se reflèterait sur mes mécanismes de défenses naturels (Durant mes méditations, je les appelle mes naturals killers. Ça sonne plus féroce que globule blanc!) » 

Geneviève ne fait pas de cachettes lorsqu’il est question de cette épreuve.  Elle a fait de son cancer sa bête féroce qu’elle sort partout.  Je l’ai déjà vue faire ses courses le sourire aux lèvres et le crâne dégarnie.  Il m’est alors venu à l’esprit que c’était comme ça qu’on brisait le tabou lié à cette maladie :  en affichant sa rage de vivre et en la communiquant aux autres.  C’est tout naturellement que Geneviève a confié à ses propres enfants le soin de couper chacun une mèche de ses cheveux.  Les siens tombaient en cascades bouclées et blondes jusqu’au milieu de son dos.  Avec toute la tendresse du monde, elle a expliqué à Rosalie, Xavier, Ophélia et Damien qu’il s’agissait là d’un passage obligé dans ce long dédale d’épreuves qui la mènerait jusqu’à la guérison.

En septembre 2010, elle subissait une double mastectomie.  Il lui a aussi fallu se soumettre à la chimiothérapie.  Là encore, Geneviève ne se laisse pas abattre même si elle confie sa grande souffrance à sa famille lorsqu’elle revient chez elle avec un traitement curatif qui, loin de la décourager, la galvanise.
« Cet éveil au présent, je l'ai ressenti suite au changement de médication en septembre, à mi-chemin de mes cures de chimiothérapie. Le nouveau cocktail appelé bombe atomique par mon cancérologue m'a littéralement fait connaître l'irréaliste abîme de la souffrance pendant les soixante douze heures suivant son injection. Divinement, à chaque fois, je renaissais encore plus investie dans ma vie où tout s'illuminait à nouveau! Alors qu'est-ce donc de perdre des seins quand ont a gagné la vie? »

Après la chimiothérapie, il a fallu poursuivre avec la radiothérapie.  Pendant les grandes vacances scolaires, elle a passé un peu plus de deux mois à Sydney pour y subir son traitement.  Son amoureux et sa petite tribu ont évidemment fait le voyage avec elle.  Comment peut-on accomplir une autre traversée du désert sans avoir à ses côtés les êtres les plus lumineux de l’univers? 

J’étais contente de la voir de retour.  Si vous saviez comme cette femme est belle!  En revenant d’Australie, elle arborait un look à la Annie Lennox, cheveux ultra-courts et blonds, petites lunettes de soleil rondes, jupes colorées et regard toujours aussi avide.  Habitée par le bonheur, illuminée jusqu’à l’intérieur lorsqu’elle rit un bon coup comme une gamine.
Elle a passé le mois de juillet auprès des siens au Québec.  Refaire le plein, manger des fraises, boire la pluie, s’étonner du soir qui tombe vers 21 heures…Vous savez, ces petites bulles de bonheur que l’on souffle avec une douce sérénité? 

Il lui a fallu une semaine ou deux pour se remettre du décalage horaire lorsqu’elle est revenue à Koné.   Geneviève essaie de se convaincre que la Calédonie n’est pas ce pays où l'on souffre du cancer sous les tropiques. 

Lorsque j’entends ses enfants qui courent et crient en jouant à cache-cache, je les sens heureux et…confiants.  Cette confiance, ils la doivent à la force de leur maman.  Une force aussi grande que la barrière de corail qui ceinture notre beau pays.  Les vagues peuvent bien se déchaîner dans des bouillonnements d’écume mais il restera toujours un endroit tranquille à l’intérieur du lagon où on peut plonger sans avoir peur d’être emporté par les flots tourmentés.  C’est aussi ça la Calédonie de Geneviève.

7 mois se sont écoulés.  Ma voisine a encore changé de look.  Ses cheveux encadrent son visage et tombent en boucles souples.  Avec une pointe d’auto-dérision, elle pose ses mains sur sa poitrine pour mettre en valeur son joli corsage.  C’était, il n’y a pas si longtemps, une blessure.  C’est devenu la marque de la survivante.  
Une marque qu’elle a bien évidemment révélé à toute la famille, enfants et mari.  Geneviève partage leur réaction :

« Lors du moment cruciale de révélation de mon nouveau torse, Damien a dit du haut de ses trois ans:
-Ils sont petits maintenant tes seins!
Ophélia dans toute sa perspicacité a répliqué:
-T'en fait pas maman, ils vont repousser!
Tandis que mon bon Xavier à l'âme si charitable pour sa petite maman, a répondu d'un ton agacé en regardant ses cadets:
-On ne dit pas ça à sa mère!
Et pour évidemment sauver la situation, l'aînée Rosalie a pris la parole avec tout son dynamisme que je lui connais:
-Maman, tu te rends compte, tu t'es fais enlever ton cancer? Tu n'as plus de cancer maman!
Pendant tout ce temps, mon tendre chéri reste contemplatif face l'image de sa précieuse petite Geneviève et rajoute avec toute son affection sincère habituelle mais avec une honnêteté étonnante:
-Ce n'est pas si laid que ça! C'est même beau! »

Octobre est le mois du cancer du sein.  Il s’agit d’un temps d’arrêt pour bien prendre conscience des enjeux de cette maladie. En France, près d’une femme sur 10 devra faire face à un tel diagnostic.  Les progrès récents dans les traitements comme la chimiothérapie ont favorisé la guérison d’un plus grand nombre de cas.  La recherche est encore et toujours le nerf de la guerre.  Pour Geneviève, il faut se battre tous les mois de l’année.  Avec son habituel entrain, elle conclue ainsi :

  « Et moi, il faudrait que je sois triste en ce moment et que je joue dans le mélodramatique? Jamais!!! Maintenant, je connais l'ivresse de la béatitude, l'euphorie de vivre! »

Merci Geneviève.  Ta force nous inspire.


1 commentaire:

Karine Carbonneau a dit…

Une grande personne comme j'ai rarement vu dans la vie. Je ne parle pas de grandeur physique mais de la grandeur de l'âme. Tu rends la vie meilleurs, des gens qui te connaissent. Je suis privilégié de t'avoir dans ma vie. Je suis toujours aussi émerveillée de ta personne. Je ne trouve pas les mots pour arriver à décrire toute mon admiration envers toi! Je t'aime Geneviève ! XXX