14 févr. 2012

Je suis une fille de Koné qui s'en va vivre à Nouméa


J’ai versé des larmes en arrivant en brousse.  Je vais pleurer des torrents lorsque je vais devoir la quitter.  Et c’est aujourd’hui que je lui dis au revoir.

Mes copines de Koné vont me dire :  «Là, Gougounes, tu exagères  avec tes torrents…T’es pas Claude Barzotti!  Slaque avec tes métaphores! »

Je vous jure que c’est vrai!  Ce matin, je commençais à ressentir un léger vague à l’âme à l’idée de partir.   En faisant le plein de diesel, j’ai failli mettre du sans plomb (là, c’est Chéri qui aurait pleuré des torrents …)  Pour la première fois, je réalisais que je tournais une page sur le chapitre « brousse ».    Je venais de charger la moitié de mes vêtements dans ma plus grande valise et j’avais posé ma cafetière sur le siège avant.  Il était 7 hrs du matin, le temps était gris et pluvieux. 

J'étais en train de bougonner jusqu’à ce que je reconnaisse un visage connu :  Claude, un travailleur kanak à qui j’ai déjà donné un lift parce qu’il avait fait une crevaison avec son bicycle.

Il s’avance vers moi avec son grand sourire.  Sa tuque verte m’attendrit parce qu’il fait quand même 30 degrés…

« Bonjour!  Ça va? », me dit-il en me faisant la bise.  On a gradué jusqu’à la bise parce que je lui fais confiance.  Ne me demandez pas pourquoi, il a une face en sourires et ça me suffit comme garanti.

« Ah, oui, ça va.  Mais je m’en vais, je quitte Koné.  Je déménage à Nouméa ».

Et là, c’est tout juste si je n’entends pas son sourire qui tombe en faisant ka-kling! 

« Mais on ne te verra plus! », dit-il avec une sincérité touchante.

« Ben voyons donc, la Calédonie, c’est grand comme ma main.  On va se revoir, c’est sûr! ».  Je me fais rassurante.  Vous le savez vous aussi que c’est petit la Calédonie :  avec moins de 250 mille personnes sur le caillou, les statistiques sont de notre bord.  On va se tomber dessus un jour ou l’autre. 

Claude est parti en disant au revoir, embarqué avec des compagnons de fortune dans un pick-up pour un autre petit boulot.  Me voilà à la caisse avec les larmes qui montent aussi vite que dans un creek sur la transversale pendant une grosse ondée.   Attention, débordement en vue!  Pourquoi se mettre à chialer comme dans un clip de Barzotti? 


C’est là que j’ai réalisé que je suis en train de tirer le fil d’un inextricable réseau que j’avais tricoté, un réseau qui était devenu un filet de sécurité.  Je me sentais bien ici.  Mes enfants aussi.  Mais voilà :  l’expérience nous emmène ailleurs.  Il faudra sortir encore une fois nos aiguilles à tricoter et se mettre à faire des mailles ici et là. 

Je pars avec les enfants à Nouméa.  Chéri viendra nous rejoindre dans quelques semaines.

La brousse, c’est comme partout ailleurs :  il y a des bons et des mauvais jours.  On s’ennuie, on s’éclate, on rit, on pleure, on mange en famille élargie, on lance des cris en découvrant des coins perdus.  C’est comme ça en Abitibi au Québec, dans la Creuse en France et dans les Blue Ridge Mountains en Caroline du nord.  Mais le « Wow Power », c’est  de réaliser que la brousse finit par nous rentrer dans la peau. 



Je suis une fille de Koné qui s’en va vivre à Nouméa.  C’est ça le titre du nouveau chapitre.

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